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taisies socialistes de M. Louis Blanc. Le 24 février n’a pas été un progrès, mais un obstacle dans l’ordre naturel des choses.

Sitôt que la révolution de 1848 a succombé sous une réaction dont la responsabilité lui appartient tout entière, le mouvement normal de l’intelligence, violemment suspendu par l’intervention des intérêts alarmés, a repris son cours par toute l’Europe, où les gouvernemens et les peuples s’avancent désormais de concert vers le but qui s’est un moment voilé pour la France. En imposant à celle-ci la république, les sectaires de l’Hôtel de Ville prétendirent lui faire franchir plusieurs degrés d’initiation à la fois, comme aurait dit Ballanche dans son doux et profond langage. Il faut autant se défier des presbytes que des myopes, car la poursuite essoufflée de l’avenir n’épuise pas moins les peuples que le culte superstitieux du passé. Lassée de cette course aventureuse, la France s’est reposée avec une satisfaction incontestable sous des institutions qui ne lui interdisent ni les longs loisirs ni le sommeil réparateur; mais, en changeant de guides, elle n’a changé ni d’instincts, ni d’aspirations, ni d’espérances. Le travail qui s’opère aujourd’hui dans son sein consiste à mettre ses intérêts en parfait accord avec ses idées, en faisant disparaître l’antagonisme qui les a trop longtemps séparés. Lorsqu’il sera démontré qu’une sage, mais sérieuse liberté n’importe pas moins à la sécurité de la nation qu’à sa dignité, et que des pouvoirs pondérés peuvent seuls protéger efficacement la fortune publique, quand la liberté sera en mesure de se chiffrer par millions, sa cause sera à tout jamais gagnée. Née au Jeu de Paume, elle est destinée à renaître par la Bourse. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que l’on touche à l’heure de cette démonstration arithmétique. Lorsque les banquiers et les industriels seront tous du même avis que les bavards, le gouvernement représentatif aura pour jamais reconquis la France. Alors ceux qui n’auront pas éprouvé dans leur foi une heure de défaillance pourront goûter la joie promise à une obscure, mais indomptable fidélité.

Aucun de mes lecteurs n’aura pu se méprendre, je l’espère, sur le caractère de ce travail. Nous ne touchons pas au moment où il sera possible de connaître et de dire toute la vérité sur l’étrange révolution de 1848, enchevêtrée dans l’histoire de la révolution de 1789 comme une épave jetée par la tempête dans le fit d’un grand fleuve dont elle obstrue le cours. Le 24 février a enfanté le 2 décembre, et tant que l’établissement politique sorti de cette dernière crise n’aura pas produit toutes ses conséquences dans l’ordre constitutionnel et diplomatique, il faudra bien renoncer à porter sur la première un jugement définitif. L’histoire toucherait d’ailleurs de trop près aux vainqueurs et aux vaincus pour conserver la plénitude