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de ses droits, les uns se trouvant protégés vis-à-vis d’elle par leur malheur, les autres par leur puissance. Ajoutons que, pour faire bien comprendre comment la république, également antipathique à toutes les nuances de l’opposition, est sortie d’un désaccord profond entre les hommes qui, au 22 février, ne souhaitaient qu’un changement de cabinet et ceux qui aspiraient secrètement à un changement de règne, il faudrait des renseignemens que les portefeuilles conserveront longtemps encore. Le jour des petites révélations devra précéder celui des grandes justices. Nous ne possédons jusqu’à présent que des écrits apologétiques émanés d’hommes jaloux de présenter leur intervention dans les événemens de 1848 sous le jour le plus favorable, et qui tous, chose remarquable, se défendent avec le plus grand soin de l’imputation de les avoir provoqués. M. de Lamartine le premier nous a donné une œuvre dans laquelle semblent retentir toutes les clameurs de ces jours d’orage et se refléter le brillant mirage de tant d’illusions détruites. M. Garnier-Pagès accomplit une tâche semblable, et son volumineux travail, lorsqu’il sera terminé, deviendra une source sinon complète, au moins très précieuse d’informations, quoique personne ne puisse sans doute aller chercher un jugement dans une œuvre qui ne saurait être qu’un plaidoyer.

Après ces écrits, importans à des titres divers, il n’y a guère à signaler comme travail d’ensemble sur cette époque que le livre spirituel de l’écrivain pseudonyme qui, au lendemain de la chute du gouvernement républicain, entreprit la double tâche d’exposer cette catastrophe et de dégager la démocratie de toute solidarité dans le renversement de la république. A l’exemple de tous les théoriciens dont le siège est fait, M. Daniel Stern n’admet pas que les événemens puissent jamais aller à l’encontre des idées, et déploie pour les faire concorder des souplesses et d s ressources infinies. Il y a d’ailleurs toujours un certain côté par lequel l’école démocratique se réconcilie très facilement avec la dictature, et l’école fataliste avec les faits accomplis, Je n’ai pas eu pour mon compte, on le croira sans peine, la prétention d’accomplir dès aujourd’hui une tâche dont je viens de constater les difficultés à peu près insurmontables, et, sans songer à résoudre les questions, je me suis borné à les poser. Cependant je croirais n’avoir pas fait une chose inutile, si j’étais parvenu à mettre en parallèle l’œuvre européenne à peu près accomplie dans la période antérieure à 1848 et celle que prépare au monde le nouveau droit public inauguré au 24 février, et qui a trouvé sa dernière forme dans le plébiscite du 22 novembre 1852.


L. DE CARNE.