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les batailles navales de la Grande-Bretagne, et surtout la Dulwich Gallery. L’histoire de cette dernière collection est assez curieuse. Vers la fin du dernier siècle résidait en Angleterre un M. Noël Desenfans, consul du dernier roi de Pologne, Stanislas II. Quand la révolution française éclata, il fut chargé par son souverain d’acheter les bons tableaux que cet événement jetait sur le marché. Il avait déjà rassemblé plusieurs toiles estimables, lorsque le roi Stanislas fut tout à coup détrôné, Desenfans était si bien lancé qu’il ne s’arrêta point en chemin ; il continua de collectionner avec succès pour son propre compte, à tel point qu’un beau jour il se trouva encombré de tableaux, dans l’achat desquels il avait dépensé toute une fortune. Trouvant néanmoins sa galerie trop lourde, comme il disait, « pour les épaules d’un simple particulier, » il essaya de s’en défaire. Une partie des tableaux furent vendus ; mais les autres, — et c’était le plus grand nombre, — restèrent bon gré mal gré entre les mains du collectionneur. À sa mort, il laissa par testament les richesses qui l’avaient ruiné à un artiste, sir Francis Bourgeois, Suisse d’origine. Bourgeois, lui aussi, mourut et légua toute la collection au collège de Dulwich, en posant toutefois une condition : c’est que le public y serait admis. De plus il institua une somme de 2,000 livres sterling pour assurer la conservation des peintures, et une autre de 10,000 pour élever le bâtiment destiné à les recevoir.

Le soin de recueillir les objets d’art ayant été abandonné par l’état à l’initiative des particuliers, quelques riches familles, soit par zèle, soit par amour-propre, se sont acquittées de cette tâche avec honneur[1] ; il n’en résulte pas moins une sorte de diffusion, et de là un obstacle, surtout pour l’étranger, à la connaissance des chefs-d’œuvre disséminés dans le royaume-uni. Les inconvéniens de ce système avaient vivement frappé, il y a quelques années, un Anglais de mérite, M. C. J. Deane, au moment où il visitait chez nous l’hôtel de Cluny. Il conçut alors l’idée de réunir, ne fut-ce que pour un temps assez court, les ouvrages des maîtres dispersés entre les mains des collecteurs ou des anciennes familles. Cette idée, il la communiqua, en revenant de France, à quelques-uns des principaux fabricans de Manchester, qui l’accueillirent avec enthousiasme. Encouragé par ce succès, il publia un petit écrit dans lequel il exposait ses vues sur les avantages qu’il y aurait pour le public à concentrer dans une sorte de musée provisoire des trésors qui avaient

  1. Parmi les galeries particulières (private), il faut citer Northumberland house, qui appartient au duc de Northumberland ; Grosvenor gallery, formée par le marquis de Westminster ; Bridgewater gallery, évaluée à 150,000 liv. sterl., et qui est la propriété du comte d’Ellesmere ; Sutherland gallery, qui se trouve à Strafford house, résidence du duc de Sutherland.