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échappé jusque-là aux regards curieux de la foule et même des artistes. Le plan devint bientôt populaire, et on choisit la cité de Manchester pour le mettre à exécution. L’idée que ce centre de l’industrie et du commerce allait devenir le rendez-vous des beaux-arts flatta singulièrement les négocians de la ville, accusés, sans doute à tort, de n’adorer dans le monde que le coton et les intérêts matériels. En moins de six semaines, une centaine d’entre eux souscrivirent une somme de 70,000 livres sterling. En même temps on fit un appel à la générosité de tous ceux qui possédaient dans la Grande-Bretagne de précieux objets d’art. Cet appel trouva de l’écho dans les châteaux et les manoirs de la noblesse ; la reine donna elle-même l’exemple en envoyant une partie de sa collection. Un palais de fer éclairé par un toit de cristal s’éleva pour la circonstance, et l’exposition s’ouvrit au mois de mai 1857. On s’attendait à une surprise : il y eut en effet lieu de s’étonner en voyant sortir de l’ombre tant de trésors ignorés. « Nous ne nous savions pas si riches ! » tel fut le cri général des Anglais. L’occasion s’offrait de même aux étrangers de rectifier leurs jugemens sur la pauvreté relative de l’Angleterre en fait d’ouvrages des différentes écoles ; mais je dois dire que très peu d’entre eux se rendirent alors à Manchester. Au bout de quelques mois, l’exposition s’évanouit, les tableaux retournèrent sous les voûtes des demeures baroniales, le bâtiment même fut démoli, et il ne resta plus qu’un souvenir. Quoi qu’il en soit, ce souvenir devait être fécond, et nous retrouvons la trace de l’exposition de Manchester dans la galerie de tableaux qui accompagne, en 1862, l’exposition universelle de l’industrie au palais de South-Kensington,

D’où vint la pensée d’adjoindre une sorte de congrès des beaux-arts à l’exhibition des produits naturels ou transformés par les machines ? C’était une opinion générale en Angleterre, du moins parmi tous les hommes de goût, qu’en 1851 la nation britannique avait trop sacrifié à l’utile et pas assez au sentiment du beau. Pour combattre cette tendance trop exclusive, il fut jugé convenable de faire une place aux arts du dessin, dont l’influence se reflète d’une manière si sensible sur les traits généraux de l’industrie. Le plan qui avait réussi à Manchester fut aussi celui qu’on adopta, du moins en ce qui regarde l’école anglaise. On invoqua la libéralité des détenteurs de tableaux, et ils répondirent à l’appel comme la première fois. Les musées nationaux furent également mis à contribution. Si j’en crois de graves témoignages, les artistes britanniques appelés à donner leur avis ne furent pas sans hésiter un peu devant la comparaison avec les écoles étrangères. Ce scrupule se trouva pourtant écarté, et toutes les nations furent invitées à envoyer les meilleurs