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ouvrages des peintres et des sculpteurs modernes, ceux du moins qui pouvaient le mieux donner une idée de l’état présent de l’art dans chaque pays. Une division de l’édifice, connue sous le nom de Picture Gallery et occupant deux ailes du palais, fut destinée à recevoir les six mille tableaux, statues, dessins, gravures, envoyés de tous les coins de l’Europe. Au point de vue de l’architecture, cette partie du bâtiment est la plus satisfaisante ; les tableaux se montrent libéralement éclairés et jouissent en quelque sorte de l’air et de l’espace dans les grandes salles hautes de l’exposition de peinture.

Je ne veux pas croire que le comité, en ajoutant une galerie spéciale pour les beaux-arts, ait été guidé par un motif d’intérêt : c’est pourtant, il faut le dire, la branche de l’exposition universelle qui a obtenu le plus de succès. On avait cru trop légèrement le peuple de Londres indiffèrent à la contemplation du beau : les faits ont démenti cette opinion, et la foule qui se presse chaque jour dans le département des peintures montre bien que si elle témoigne en général peu d’empressement à visiter la National Gallery c’est que la ville de Londres ne contient point un musée digne de défrayer à plusieurs reprises la curiosité publique. Ce ne sont point seulement les hommes du monde, mais aussi les gens de la campagne, les ouvriers, qu’on voit affluer à Kensington dans la galerie de tableaux. L’intérêt qui s’attache à ces grandes réunions d’objets d’art, — réunions beaucoup trop rares dans la Grande-Bretagne, — a très certainement contribué à grossir les recettes. À mesure surtout que la saison s’avance, une procession de cinquante à soixante mille curieux se dirige chaque jour[1] sur la route de Brompton. Cette route est elle-même un tableau de mœurs. Tout Londres est là avec ses pick-pockets (filous), ses cockneys (badauds), ses marchands des rues, ses shoeblacks (décrotteurs), ses enfans abandonnés, qui courent pieds nus dans la boue pour offrir aux passans un catalogue abrégé de l’exposition à un penny ; quelques-uns d’entre eux ont même inventé un système de bâtons fourchus au moyen desquels ils présentent leur marchandise et atteignent le toit des plus hauts omnibus chargés de monde. Plus on approche de South-Kensington, et plus le mouvement des voitures se montre formidable ; les plus curieuses parmi ces dernières sont d’immenses chars-à-bancs de plaisir, pleasure vans ; un ou deux amateurs montés sur le siège du cocher sonnent du cor ou soufflent à devenir bleus dans d’autres instrumens de cuivre pour charmer les heures du voyage, tandis que toute une société (party), hommes et femmes entassés, serrés les uns contre

  1. Ce fait ne s’observe toutefois que les shilling days, jours à 1 shilling. Le vendredi et le samedi, jours où l’on paie une demi-couronne d’entrée, le nombre des visiteurs diminue dans une proportion notable.