Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les tableaux de l’école suisse, celui sur lequel le regard se repose avec le plus de charme est peut-être le Plateau du Righi, par M. Calame. Le bas du paysage se trouve encore plongé dans l’ombre, tandis que la lumière couronne les hauteurs et se répand comme un sourire du ciel à la superficie des crêtes rocheuses, il y a là un vif sentiment du lien qui associe la nature la plus sauvage et la plus morne en apparence aux émotions humaines, qui la fait s’éclairer avec nos joies ou s’assombrir avec nos tristesses.

L’Italie et l’Espagne ont été opposées l’une à l’autre dans la même salle de l’exposition. Mieux encore peut-être que les ouvrages d’industrie, les œuvres d’art reflètent le caractère des climats et le tempérament des races. Les gloires de la peinture espagnole appartiennent au passé. Elle semble avoir épuisé son énergie sur les sujets religieux, sur les sombres grandeurs du moyen âge, sur les mystères des cloîtres et des auto-da-fé, sur les batailles et les supplices. Cette source d’inspirations est heureusement tarie pour elle ; mais depuis elle n’a pas su s’ouvrir une nouvelle veine en creusant dans ses mœurs et dans le sentiment de la nature. Vers la fin du dernier siècle, elle s’était déjà pétrifiée dans ses dogmes et dans un mysticisme à la fois charnel et farouche. Puis vint l’école de David, qui, en se greffant sur un arbre suranné, lui porta le coup de mort. Aujourd’hui l’Espagne moderne ne s’est point encore découverte elle-même. Il y aurait pourtant, je n’en doute pas, une source de régénération pour les beaux-arts dans l’étude de la vie chez un peuple au caractère tranché, qui a fourni aux voyageurs des pages curieuses. Des essais, beaucoup trop rares il est vrai, annoncent heureusement chez quelques peintres espagnols l’intention de révéler à elle-même une nation qui s’ignore. Je signalerai parmi ces derniers la Muneria, une danse espagnole de M. Fierros, avec un cornemusier et des paysans, dont la figure exprime bien la gravité dans la joie, mais surtout un Troupeau de moutons par M. Mariano Roca. Ces pauvres bêtes, qui broutent ’à et là quelques touffes d’herbes clair-semées, un chien cassé et abattu par la chaleur, un berger las et appuyé sur son bâton ; plus loin des champs labourés et des crêtes pelées, tout cela respire bien l’air d’au-delà des Pyrénées. Un Paysage d’Andalousie, par M. Carlos de Haes, la mer gracieusement encadrée dans un cercle de rochers aux échancrures pittoresques, ne nous donne-t-il point aussi une idée de ce que pourrait être ce genre de peinture dans une contrée fertile en contrastes et en scènes tour à tour sauvages ou gracieuses ? Je m’arrêterai peu à la peinture historique, représentée par M. Victor Manzano dans son tableau de Ferdinand et Isabelle administrant la justice ou par M. Eduardo Cano dans son Exécution de don Alvaro de Luna. Ce n’est point