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reuse[1], est le seul qui ait voulu, au nom de ce qu’il appelait le grand art, lutter dans ces derniers temps contre le courant de l’opinion publique et contre la force des choses ; n’ayant qu’un talent incomplet d’ailleurs, il devait être brisé. Le palais du parlement, house of parliament, dont les peintres vivans se disputent aujourd’hui les murs avec une sorte de rivalité jalouse et acharnée, est peut-être une des seules exceptions qu’on pourrait opposer à la règle générale, et encore fournit-il du travail à un nombre d’artistes très limité. Il y a peu de tableaux d’histoire dans la Grande-Bretagne ; parce que le peintre ne saurait pas où les placer, il n’y a point de marché pour eux. Faut-il dire le mot ? Ils ne paient point, they do not pay. Cet argument est décisif dans un pays où tout ce qui ne fait pas ses frais est considéré avec quelque raison comme ne répondant point à un besoin de l’esprit national.

Chassée par l’organisation sociale des hauteurs de l’histoire et du sentiment religieux, la peinture anglaise a dû se réfugier dans la vie intime. S’il n’y a point chez nos voisins de gouvernement ni d’administration officielle chargés d’enrôler les talens, il se rencontre une aristocratie forte et puissante, une classe moyenne très riche, disposées l’une et l’autre à tendre la main aux artistes. C’est une loi générale que la taille et le caractère des toiles se conforment aux demeures destinées à les recevoir ; de même que les monumens publics ont donné lieu ailleurs à la peinture historique et religieuse, les châteaux, les manoirs et les maisons opulentes ont servi d’asile en Angleterre aux tableaux de genre. Toutes les forces vives de l’art britannique se sont exercées dans cette direction. La vie domestique et le paysage, tantôt seul, tantôt associé aux joies et aux misères de l’homme, devinrent ainsi les deux sources sacrées auxquelles puisa la fantaisie des peintres. Plus les peuples avancent en civilisation, et plus ils se rattachent avec amour au sentiment de la nature. En Angleterre, au commencement de ce siècle, se déclara un retour vers les scènes charmantes ou sévères de la campagne. Ce mouvement produisit en littérature les poètes lakistes, en peinture les paysagistes. Ce naturalisme n’a plus, il est vrai, la candeur naïve des peuples primitifs, qui adorent dans tout l’univers des forces supérieures et inaccessibles ; on y sent au contraire l’homme qui décompose le monde extérieur au gré de ses impressions. Plus que toute autre contrée peut-être, les îles britanniques se prêtaient merveilleusement au genre descriptif et au paysage ; on n’y rencontre pas beaucoup de ces effets grandioses ni de ces traits frappans qui subjuguent l’admiration : c’est une campagne douce, suave, apprivoisée,

  1. Voyez l’intéressante étude de M. Darley sur Haydon dans la Revue du 15 août 1855.