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a été aidée par le caractère de la nation : l’Anglais aime sa race, son sang, his blood ; rien ne lui plaît davantage que de se voir représenté lui-même tel qu’il est, un peu en beau si l’on veut, mais toujours dans les limites de la vérité. Quoiqu’on puisse trouver des traces plus anciennes, le créateur de la peinture britannique est Hogarth, qui vivait de 1697 à 1764, et qui du premier trait dessina la voie dans laquelle, tout en faisant çà et là l’école buissonnière, ont marché depuis les peintres anglais. Ils ne doivent rien ou presque rien aux écoles étrangères ; c’est chez eux, dans leur pays et leurs mœurs, qu’ils ont cherché les modèles d’un art profondément national.

William Hogarth était le fils d’un maître d’école dans Old-Bailey. Il descendait d’une famille de paysans ; un de ses aïeux avait, dit-on, été porcher dans le nord de l’Angleterre : de là le rude sobriquet de Hogherd[1], qui, comme il arrive souvent dans les campagnes, devint un nom de famille, et, après avoir passé par diverses transformations successives, Hogart ou Hogard finit par se convertir en Hogarth. Une légende, d’ailleurs assez douteuse, mais qui n’en a pas moins fourni à un peintre moderne, M. Bass, le sujet d’un joli tableau, veut que l’espiègle Hogarth ait été envoyé dans son enfance chez une maîtresse d’école dont il causait le désespoir en dessinant des caricatures sur une ardoise. Le tableau le représente en pénitence, monté sur une sellette, coiffé du bonnet d’âne, une poignée de verges derrière le dos, ayant suspendue sur la poitrine la fatale ardoise, cause de ses malheurs, sur laquelle on voit dessinée à la craie la charge de la bonne dame. Quoi qu’il en soit de l’authenticité du fait, la première éducation de William Hogarth doit avoir été négligée, car il arriva à la fin de sa vie sans savoir l’orthographe, ce qui ne l’empêcha point d’écrire un ouvrage sur les arts, l’Analyse de la Beauté, et ses mémoires. Quand il eut atteint l’âge de l’adolescence, Hogarth entra comme apprenti graveur chez un orfèvre, Ellis Gamble, qui demeurait dans Cranbourn-street ou dans Snow-Hill, à l’Ange doré. Là, pendant sept années d’une espèce de servitude ouvrière, il grava sur des gobelets, des plateaux ou des cuillers d’argent des armes et des devises héraldiques. Son apprentissage terminé, il s’établit dans une boutique, où il continua de vivre d’un travail à peu près manuel. On chercherait vainement dans la jeunesse de William Hogarth ces aventures de cape et d’épée si fréquentes dans la vie des peintres italiens. C’était un bon et tranquille jeune homme à rude complexion, à l’œil clair, aux épaules légèrement arrondies, aux traits fortement accentués, et, comme on peut en juger par le portrait qu’il a peint

  1. Hog est le nom générique de la famille des pourceaux ; herd signifie troupeau.