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plus qu’une gloire pour son pays, c’est un enseignement. Se figure-t-on bien l’effet moral produit par une série de gravures qui courent ici entre les mains de tout le monde, et où domine toujours, à côté des hautes qualités de l’artiste, un rigide sentiment de justice qui dénonce le mal, qui défend vaillamment le droit et montre à chaque pas ce qu’il y a de sérieux sous les folies humaines ?

Hogarth avait ouvert la voie ; ceux qui le suivirent, sir Josuah Reynolds et Thomas Gainsborough, s’écartèrent du spectacle de la société pour s’attacher davantage à la nature. Reynolds se trouve très imparfaitement représenté dans la galerie de l’exposition, et quelques-unes de ses toiles ont évidemment souffert du temps, qui a fané les couleurs. Le premier dans la Grande-Bretagne, il avait donné une vie aux portraits, et, comme l’a dit Wilkie, a rendu visibles les pensées de l’homme intérieur sur la physionomie. » Plusieurs de ces portraits, où l’on ne sent point l’ennui ni la raideur de la personne qui pose, ont conservé les grâces solides de la vie que l’atmosphère de Londres n’a point effacées. Son berger (shepherd), son écolier (schoolboy) l’Age d’innocence, sont autant de figures naturelles et distinguées ; mais je leur préfère de beaucoup, pour le charme et la naïveté, quelques-uns des délicieux tableaux de Gainsborough. Ce dernier faisait, dit-on, des portraits pour de l’argent, et peignait des paysages pour son plaisir. Bien différent en cela de sir Josuah Reynolds, qui passait sa vie dans le cercle des hommes d’état, des grands et des lettrés, il aimait la compagnie des acteurs, des gais ménétriers et des jolies femmes. Jamais on ne le voyait à l’Académie de Peinture, dont il fut pourtant un des premiers membres ; son académie était aux champs, dans les bois, sur les bruyères. Peu soucieux des honneurs et des titres officiels, il aimait à hanter les fermes, les chaumières, à s’arrêter de taverne en taverne, et à faire de bons petits soupers avec de joyeux compagnons. S’étonnera-t-on après cela qu’il ait célébré dans ses toiles de prédilection les humbles scènes de la vie populaire ? Il est d’ailleurs curieux d’observer que dans cette société anglaise, dite aristocratique, les artistes, au lieu de représenter la cour et les salons, comme on pouvait s’y attendre, sont au contraire descendus avec un intérêt et une sympathie inépuisables vers le monde d’en bas, vers les mœurs des paysans et des ouvriers. Deux des plus charmans tableaux de Gainsborough sont la Fille avec des cochons et la Fille avec une cruche. Ce dernier tableau fut acheté par Reynolds lui-même dans un temps où de tels sujets étaient considérés comme vulgaires. Gainsborough avait demandé 60 guinées ; Reynolds lui en compta ! 100. Du vivant de Gainsborough, la plupart de ses paysages et de ses scènes rustiques eurent d’ailleurs très peu de vente ; à sa mort, ils furent jetés