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où croît une herbe courte entre les crêtes de montagnes. Quelle sinistre grandeur dans ces deux autres tableaux, la Nuit et le Matin, qui forment les deux épisodes d’un poème étrange ! À la sombre clarté d’une lune tempétueuse, sous les tourbillons de pluie qui fouettent et font écumer l’eau d’un lac voisin, deux grands cerfs, tête contre tête, s’attaquent et se livrent sur un sol marécageux un duel à mort : c’est la Nuit. La pluie a cessé de tomber, les têtes de collines s’élèvent, pures et calmes, dans la majesté d’une aube limpide ; une brume froide plane sur les bords du lac ; le champ de bataille présente maintenant les conséquences d’une lutte suprême : les deux combattans, morts l’un et l’autre, gisent les cornes entrelacées, tandis qu’un renard s’apprête à jouir du festin préparé pour lui par les grands de la terre, et qu’un oiseau de proie, les ailes ouvertes, accourt dans le ciel en demandant sa part de la curée : c’est le Matin. L’impression terrible qui se dégage de ces deux tableaux résulte surtout de l’harmonie du paysage avec la violence de la scène ; les bêtes ne font ici que personnifier magnifiquement les forces d’une nature fauve et hostile.

Est-ce à dire pourtant que dans l’état présent des choses les Anglais n’aient point du tout de peinture historique ? Le Christ pleurant sur Jérusalem, de M. Charles Eastlake, Caxton montrant à Charles IV une épreuve d’imprimerie, par M. Maclise ; la Madone de Cimabuë portée en procession dans les rues de Florence par M. Leighton ; la Chute de Clarendon, par M, Ward ; les Premiers Essais de Titien, par M. Dyce ; le Retour de Crimée, par M. Paton ; la Vie et la Mort de Buckingham, par M. Egg ; Charles V à Yuste, de M. Elmore ; la Reine recevant la communion après son couronnement, par Leslie (mort tout récemment), et bien d’autres tableaux démentiraient au besoin cette opinion trop exclusive. Il est seulement vrai d’ajouter que la peinture historique a dû généralement se réduire chez nos voisins aux dimensions d’un tableau de chevalet, pour entrer dans les maisons des particuliers et pour s’accrocher aux murs des salons. Il s’en faut en outre de beaucoup que cette voie royale de l’art soit la plus fréquentée par les peintres de la Grande-Bretagne. Il y a sans doute à cela plus d’un obstacle ; les Anglais, qui ont poussé le drame sur la scène jusqu’aux dernières limites de la terreur, ne l’aiment point du tout sur la toile. Les exécutions, les assassinats, les batailles leur font horreur en peinture. D’un autre côté, il faut de fortes études et presque du génie pour faire revivre avec puissance les grandes scènes de l’histoire, tandis que le talent suffit dans plus d’un cas à rendre agréables des sujets plus humbles, mais qui nous touchent de près au cœur. Est-ce cette dernière considération qui a influé sur le choix du plus grand nombre des artistes britanniques ?