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Dans des cornes de buffle où puise leur gaîté,
Boivent les vins heureux qui donnent la santé,
Et le plaisir, seul dieu qu’en Asie on adore,
Embaume les échos de la brise sonore.

Ne te souviens-tu plus, Tiflis, de tes malheurs.
Toi qui t’ébats le soir en effeuillant des fleurs?
De tes pleurs, de ton sang, mère tant de fois veuve,
On aurait pu gonfler les ondes de ton fleuve :
Les Persans, les Tatars, les Turcs ont insulté
Le diadème d’or de ta virginité;
Ils ont brûlé tes champs, décimé tes familles,
Aux hontes du harem jeté tes jeunes filles;
Mais le deuil t’épouvante, et tu cherches toujours
La paix inaltérable et de calmes amours.

Dans les cieux étoilés quand l’heure qui s’envole
A versé le sommeil à ton peuple frivole,
Chants, danses et clartés, tout s’éteint, tout s’enfuit;
La solitude plane au-dessus de la nuit ;
La lune triomphante, intense de lumière,
Semble argenter les blocs d’un vaste cimetière,
Où depuis trois mille ans dormiraient des tombeaux.
Sauvés de tous les vents par trente grands coteaux.
Balançant à leur cou leur clochette qui sonne.
Seuls, les chameaux s’en vont, d’un pas lent, monotone,
Et ce bruit vague et sourd, qui dans l’ombre se perd,
Rappelle le silence infini du désert.


V. — LE DÉSERT.


Nos désirs sont pareils aux longues caravanes
Qui cherchent l’oasis, île en fleur des déserts,
Où courent les ruisseaux sous les feuillages verts,
Où frissonna, le soir, l’éventail des platanes.

Le désert ! le désert! sablonneux océan!
L’air embrasé du jour brise le corps et l’âme;
L’implacable midi semble tripler sa flamme
Pour arroser de feux les steppes du néant.
Le voyageur, qui rêve aux fraîcheurs d’une source,
Mesure à l’horizon l’infini de sa course;
Il marche! Le désert, ce cercle sans milieu,
L’étouffe, sable et ciel, de deux robes de feu.
Les chameaux, patiens sous leurs charges trop lourdes,
Accompagnent ses pas de leurs clochettes sourdes ;