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de choisir Madagascar pour la dernière étape de ce perpétuel voyage que son génie aventureux avait entrepris comme une gageure contre le monde entier? Incroyable bizarrerie! Mme Pfeiffer vit Paris pour la première fois en 1856, et le motif de cette visite fut simplement de recueillir quelques informations sur l’île de Madagascar, avec laquelle on lui avait dit que le gouvernement français entretenait seul quelques relations. Cette femme si curieuse, qui avait risqué mille fois sa vie dans des excursions réputées impossibles et au milieu des peuplades les plus sauvages, n’avait point jusqu’alors songé à explorer la France! Elle avait dédaigné le train de plaisir qui en quelques heures, dans un bon wagon, sans danger et sans fatigue, l’eût amenée à Paris! Elle était ainsi faite : le lointain seul l’attirait, et le péril à braver y ajoutait pour elle un aimant irrésistible. Nous avois déjà essayé de décrire cette étrange physionomie de femme et de voyageuse en suivant les pérégrinations de Mme Ida Pfeiffer dans les archipels de la Malaisie, à Sumatra, à Bornéo[1], et si l’on s’obstinait à rechercher pourquoi Mme Pfeiffer s’était mis en tête d’aller à Madagascar, quel démon la poussait à voir de près la cour de la reine Ranavalo, on ne trouverait qu’une seule réponse : c’était son goût.

Du reste, le journal de son voyage, qui a été publié après sa mort par les soins de son fils, nous la montre peu enthousiaste du pays qu’elle était si désireuse de visiter. Son désenchantement commença à Tamatave même, où la première visite qu’elle reçut fut celle d’un douanier malgache qui mit ses bagages sens dessus dessous. La ville, que les géographes et les commerçans décorent du titre de principal port de Madagascar, n’est qu’un misérable village. La plupart des maisons sont construites en bois ou en bambou, avec une couverture de longues herbes ou de feuilles de palmier. Elles reposent sur des pieux de 2 à 3 mètres de haut, et ne se composent que d’une seule pièce pour toute la famille. Les habitations des gens aisés sont plus hautes et plus grandes : l’intérieur est divisé par des cloisons en plusieurs compartimens, où l’on pénètre par des fenêtres sans vitres. Cette architecture, trop facilement aérée, est très commode pour les voleurs. Mme Pfeiffer en fit l’expérience à ses dépens : on lui vola sa montre, et il faut croire qu’elle eut d’autres motifs que ce léger désagrément personnel pour déclarer, dans son journal, que le penchant au vol est très prononcé à Tamatave, non-seulement chez les esclaves, mais aussi chez presque tous les indigènes, sans en excepter les officiers et les employés. Le pays ne vaut guère mieux que la population. Tamatave est entouré de sables; ce n’est qu’à un ou deux milles dans l’intérieur que commence la végétation, et malheur à l’Européen qui s’aventure à franchir cette courte distance ! Il pleut tous les jours : la moindre humidité donne la fièvre, et quelle fièvre! un mal trop souvent mortel! De son côté, M. Brossard de Corbigny nous a décrit les ardeurs du soleil de Tamatave. Il revenait de sa visite officielle au gouverneur du port. Une escorte d’hommes l’accompagnait, « lorsque tout à coup soldats, tambours et musiciens rompent les rangs pour courir dans toutes les directions, comme si une bombe avait éclaté au milieu d’eux... Comme le sol de Tamatave se compose d’un sable fin où l’on enfonce jusqu’à la cheville, et que nous étions en plein midi, sous un soleil ardent, les pieds

  1. Voyez la Revue du 15 février 1859.