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nus des soldats cuisaient littéralement à petit feu. Il n’y a pas de discipline qui puisse tenir à un pareil supplice... « Nous citons ces détails de pluie et de soleil, de froid et de chaud, pour montrer le sort qui serait réservé à l’expédition française que l’on voudrait débarquer sur la côte de Madagascar. Les témoignages de Mme Pfeiffer et de M. de Corbigny s’accordent parfaitement sur les obstacles naturels qui se rencontrent au seuil même de l’île, et qui opposeraient sans doute à des troupes européennes une barrière infranchissable.

De Tamatave à Atanarive, capitale de l’île, on compte environ 400 kilomètres. C’est un rude voyage à travers un pays marécageux et malsain. Une partie du trajet se fait en pirogue sur des cours d’eau très étroits, entrecoupés de rapides, et sur lesquels toute navigation régulière serait impossible pour les transports du commerce. La population est peu nombreuse; elle a été décimée par les corvées, par les mesures de violence et de cruauté qui ont marqué le long règne de Ranayalo. Il faut traverser plusieurs chaînes de montagnes ou de collines pour arriver sur le territoire d’Émir, d’où est originaire la race des Hovas, et au milieu duquel se trouvé située la capitale, Atanarive. Ce territoire, élevé de 1,300 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, est assez salubre; cependant il ne paraît pas être beaucoup plus peuplé que le reste. Mme Pfeiffer a remarqué que plusieurs villages et même des maisons isolées sont entourés de murs en terre, usage qui date du temps où les tribus vivaient à l’état de luttes perpétuelles. Le pays est donc parfaitement disposé pour une guerre de guérillas, de telle sorte qu’un corps de troupes européennes, après avoir traversé les marais et les fièvres du littoral, rencontrerait là encore de sérieux obstacles. Si peu que l’on estime les 30,000 soldats de l’armée malgache, il y aurait à compter avec un ennemi embusqué sur son propre terrain, ne procédant que par surprises à la manière des sauvages, et pouvant se dérober aisément à toutes les combinaisons de la tactique européenne.

Mme Pfeiffer fut admise sans difficulté à Atanarive, grâce à la décision du sikidy, c’est-à-dire de l’oracle, qui, dans cette circonstance, s’empressa de flatter la curiosité qu’éprouvait la vieille reine à l’approche d’une visiteuse aussi inattendue. « Dans tout Madagascar, dit Mme Pfeiffer, mais surtout à la cour, on est habitué, pour les affaires les plus importantes comme pour les plus insignifiantes, à consulter le sikidy. Cela se fait de la manière suivante, qui est extrêmement simple. On mêle une certaine quantité de fèves et de cailloux ensemble, et, d’après les figures qui se forment, les personnes douées de ce talent prédisent une bonne ou une mauvaise fortune. Il y a à la cour plus de douze interprètes des oracles, et la reine les consulte pour la moindre bagatelle. Elle respecte les sentences du sikidy au point de renoncer souvent à sa propre volonté et de se rendre en cela l’esclave la plus soumise dans un pays qu’elle gouverne d’ailleurs despotiquement. Veut-elle par exemple faire une excursion, il faut d’abord consulter l’oracle, pour savoir le jour et l’heure où elle pourra l’entreprendre. Elle ne met pas de robe, elle ne mange d’aucun mets, sans avoir interrogé le sikidy. Même pour l’eau qu’elle boit, le sikidy doit indiquer à quelle source il faut l’aller chercher. » Grâce aux bonnes dispositions des oracles, Mme Pfeiffer obtint une prompte audience de la reine. Elle dut, suivant la