Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jusque-là, surpris par les événemens, le gouvernement fédéral n’avait pu que prendre à la hâte des mesures provisoires qui aggravaient le péril au lieu de le conjurer. Tous les avantages, au début de l’insurrection, avaient été en faveur des insurgés. Ils étaient prêts pour une lutte à main armée, le nord ne l’était pas. Depuis longtemps en effet, l’œuvre de la sécession se préparait. Sous prétexte de s’organiser militairement pour la répression des soulèvemens d’esclaves, les états du sud s’étaient donné une milice permanente qui marcherait au premier signal. Des écoles spéciales avaient été fondées, où les fils des propriétaires d’esclaves allaient s’inspirer des qualités bonnes et mauvaises qui font une race de soldats. L’homme du nord, pendant ce temps, se reposant avec confiance dans le jeu régulier de la constitution, restait., uniquement occupé de ses intérêts, derrière son comptoir. L’armée nationale des États-Unis appartenait en outre presque entièrement aux hommes du sud. Depuis nombre d’années, le pouvoir fédéral était dans leurs mains, et ils ne s’étaient pas fait faute de remplir de leurs créatures toutes les administrations, l’école militaire surtout, et par suite l’armée. Longtemps ministre de la guerre, M. Jefferson Davis avait plus qu’un autre agi dans ce sens. Les dispositions des états du nord lui rendaient d’ailleurs la tâche facile. Parmi les populations laborieuses et toujours un peu puritaines de la Nouvelle-Angleterre, la carrière des armes était regardée comme une carrière d’oisifs : l’école de West-Point jouissait auprès d’elles d’une médiocre estime, et les familles en écartaient leurs enfans. Enfin, à la veille même de la crise à laquelle l’élection de M. Lincoln allait donner lieu, le ministre de la guerre de M. Buchanan, M. Floyd, aujourd’hui l’un des généraux de la sécession, avait eu le soin de faire diriger vers le sud le contenu de tous les arsenaux fédéraux et d’envoyer l’armée régulière tout entière au Texas, mettant entre elle et Washington la barrière des états à esclaves afin de rendre impuissant le sentiment du devoir qui pourrait porter les soldats à suivre le trop petit nombre d’officiers restés fidèles à leur drapeau. Rien ne manquait ainsi aux précautions prises par les confédérés. Ils avaient fait pour la marine de même que pour l’armée ; elle était dispersée aux quatre coins du globe.

Quant au nord, il ne faisait rien. Les avertissemens ne lui avaient pas manqué cependant. Depuis bien des années, la sécession était ouvertement prêchée. Un livre curieux, le Partisan leader, publié il y a plus de vingt ans, en fait foi. C’est, sous forme de roman, une peinture vraiment prophétique de la guerre qui désole en ce moment la Virginie, représentée sous des couleurs bien faites pour expliquer l’ardeur avec laquelle les imaginations des dames créoles ont épousé la cause séparatiste ; mais on croyait au nord, comme en