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ce gouvernement a pris la forme d’une dictature, et a donné ainsi à son siège l’importance d’une capitale. Là aboutissaient toutes les grandes lignes de chemins de fer, toutes celles des télégraphes. C’est de là que pendant un an ont été datés tous les ordres, toutes les dépêches. En forçant le gouvernement confédéré à abandonner cette capitale, on lui infligeait un échec immense ; aux yeux de l’Europe surtout, on lui ôtait son prestige. Fallait-il brusquer cette attaque aussitôt qu’on aurait réuni les moyens d’action qu’on aurait raison de croire suffisans, sans attendre les résultats du blocus et de la campagne mississipienne ? Les opinions sont partagées à cet égard. Les uns disent oui, en se fondant sur ceci : qu’on ne doit jamais laissera une insurrection le temps de s’établir ; que l’armée fédérale, avec son organisation défectueuse, ne devait valoir guère mieux en mars qu’en novembre ; qu’un succès éclatant des hommes du nord suivant de près Bull’s Run pouvait finir la guerre tout d’un coup, en permettant une grande tentative de conciliation avant que l’on se fût trop aigri de part et d’autre. Les autres disaient non : selon eux, le gros de la besogne pour réduire l’insurrection devait se faire sur la côte et sur le Mississipi. La campagne de Richmond, si on l’entreprenait au printemps avec l’armée du Potomac aguerrie par l’hiver passé sous la tente et remise des funestes impressions de Bull’s Run, serait le coup de grâce donné à la sécession. Ce fut ce dernier parti qui l’emporta, soit qu’il eût été le résultat d’une véritable délibération, soit qu’on s’y fut laissé acculer par nécessité, faute de s’être décidé à temps pour agir pendant les beaux jours de l’automne de 1861.

Et c’est ici le lieu de faire observer en passant un trait caractéristique du peuple américain : en tant que peuple, en tant qu’agglomération d’individus, c’est la lenteur. Cette lenteur à prendre un parti et à agir, si opposée à la promptitude, à la décision, à l’audace auxquelles l’Américain, considéré comme individu, nous avait habitués, est un phénomène inexplicable, qui me cause toujours le plus vif étonnement. Est-ce l’abus de l’initiative individuelle qui tue l’énergie collective, l’habitude de ne compter que sur soi-même et de n’agir que pour soi qui rend hésitant, défiant sur le concours des autres ? Est-ce de n’avoir jamais appris à obéir qui rend si difficile de commander ? Un peu de tout cela sans doute, et d’autres causes encore qui nous échappent, doivent concourir à ce résultat aussi étrange qu’incontestable ; mais cette lenteur, qui semble propre du reste à la race anglo-saxonne, est rachetée par une ténacité, par une persévérance que l’insuccès ne rebute pas.

Laissons donc les flottes fédérales occupées à bloquer le littoral insurgé, à reprendre la Nouvelle-Orléans, à aider le général Halleck à reconquérir le cours du Mississipi, et suivons la carrière de