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l’armée du Potomac, destinée à combattre la grande armée confédérée, et à lui arracher, si faire se peut, la possession de la capitale virginienne.

L’hiver s’était passé, pour les soldats du nord, à s’organiser, s’exercer, s’approvisionner. De plus ils avaient élevé autour de Washington une série d’ouvrages, de forts détachés, pour nous servir d’une expression connue, qui, armés d’une puissante artillerie, mettaient la capitale à l’abri d’un coup de main, quand même l’armée du Potomac eût été absente. La construction de ces ouvrages donnait à penser à ceux qui cherchaient à deviner les projets du général ; mais tout était depuis longtemps si calme à Washington que ce n’était qu’en passant que l’on s’arrêtait à l’idée d’une entrée en campagne. L’ennemi occupait toujours en grande force ses positions de Manassas et de Centreville, et depuis six mois il n’y avait eu entre les deux armées que des escarmouches de peu d’importance.

Les choses en étaient là lorsqu’un de mes amis, me frappant sur l’épaule le 9 mars au soir, me dit : « Vous ne savez pas ? l’ennemi a évacué Manassas, et l’armée part demain ! » Le lendemain, en effet, toute la ville de Washington était en commotion. Une masse d’artillerie, de cavalerie, de wagons, encombrait les rues, se dirigeant vers les ponts du Potomac. Sur les trottoirs des allées, on ne voyait qu’officiers faisant de tendres adieux à des dames en pleurs. La population civile regardait froidement ce départ. Il n’y avait pas la moindre trace d’enthousiasme. Peut-être était-ce la faute de la pluie qui tombait à torrens. Sur le Long-Bridge, au milieu de plusieurs batteries qui couvraient en défilant laborieusement ce pont éternellement en ruine, je rencontrai le général Mac-Clellan à cheval, l’air soucieux, s’en allant tout seul, sans aides-de-camp, escorté uniquement de quelques cavaliers. Celui qui aurait pu lire ce jour-là dans l’âme du général y aurait déjà vu cette amertume qui plus tard devait s’y amasser d’une façon si cruelle. Au-delà des ponts, nous trouvâmes toute l’armée en mouvement, se dirigeant vers Fairfax-Court-House, où une grande partie campa ce soir-là. La cavalerie poussa jusqu’à Centreville et Manassas, qu’elle trouva abandonnés. On ne joignit l’ennemi nulle part, il avait une trop grande avance. Le quartier-général s’établit comme il put à Fairfax, joli village à grandes maisons de bois clair-semées au milieu des jardins. La population avait fui, à peu d’exceptions près, à notre approche. Le lendemain, j’accompagnai une reconnaissance de cavalerie à Centreville, où je vis les immenses baraquemens que les confédérés avaient occupés pendant l’hiver, et à Manassas, dont les débris fumans laissaient dans l’esprit une profonde impression de tristesse. En revenant nous visitâmes le champ de bataille de Bull’s Run. Le général Mac-Dowell était avec nous, il ne put retenir ses larmes à la vue de