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gouvernait fort mal dès qu’elle n’avait plus qu’un pied sous la quille ; aussi ne tarda-t-elle pas à s’échouer dans une position où elle courait les plus grands périls. Nul doute que, si à ce moment de la journée le Merrimac fût venu l’assaillir, elle n’eût eu le même sort que le Cumberland et le Congress. Le Merrimac, sans doute pour venger la blessure de son capitaine, resta à canonner le camp et les batteries de Newport-News, d’où était partie la balle qui l’avait frappé ; puis il rentra à Norfolk pour la nuit, comptant probablement achever le lendemain l’œuvre de destruction… Mais dans la nuit était arrivé le Monitor.

J’ai besoin qu’on me pardonne ici la comparaison très familière dont je vais me servir pour figurer aux yeux du lecteur cet étrange bâtiment. Il n’est personne qui ne connaisse ces biscuits de Savoie cylindriques couverts d’une croûte de chocolat, un des principaux ornemens de la boutique de nos pâtissiers. Qu’on se représente ce gâteau placé dans un plat oblong, et l’on aura une idée exacte de l’apparence extérieure du Monitor. Le biscuit de Savoie est une tour en fer percée de deux ouvertures par lesquelles passe la gueule de ses deux énormes canons. Cette tour a la propriété de tourner sur son axe par un appareil très ingénieux, de manière à diriger son artillerie sur n’importe quel point de l’horizon. Quant au plat oblong sur lequel le gâteau est placé, c’est une espèce de couvercle en fer posé à fleur d’eau sur la coque, qui contient la machine, le logement de l’équipage, les approvisionnemens, et dont le déplacement supporte le tout. De loin on ne voit que la tour, et cette tour flottante, d’un aspect si nouveau, fut la première chose qu’aperçurent le Merrimac et ses compagnons, lorsque, le 9 mars au matin, ils revinrent pour porter les derniers coups au Minnesota, toujours échoué, et probablement se livrer encore à d’autres destructions. Les deux navires ennemis, le James-Town et le York-Town, s’avancèrent les premiers vers le Monitor avec cette curiosité toujours un peu craintive que mettent les chiens à s’approcher d’un animal inconnu. Ils n’attendirent pas longtemps : deux éclairs partirent de la tour, suivis par le sifflement de deux boulets de 120. Il n’en fallut pas davantage pour faire rebrousser chemin au plus vite aux deux explorateurs. Le Merrimac reconnut aussitôt à qui il avait affaire, et il se porta bravement au-devant de l’adversaire, qu’il ne s’attendait pas à rencontrer. Alors commença le duel dont il a été tant parlé, et qui semble appelé à faire une si grande révolution dans l’art naval. Dès l’abord, les deux jouteurs sentirent qu’il fallait se combattre de près ; mais, même à quelques mètres de distance l’un de l’autre, ils semblaient également invulnérables. Les boulets ricochaient ou se brisaient sans faire autre chose que de laisser de légères empreintes. Boulets ronds du poids de 120, boulets coni-