Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/860

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion, déjà fort affaiblie par le feu de l’ennemi, comptait jusqu’à deux mille malades. Un système de congés temporaires et irréguliers, qui s’était établi dans l’armée, contribuait aussi à en réduire l’effectif. Maint colonel s’arrogeait le droit de donner des permissions de quelques jours à des soldats qu’on ne revoyait plus. Il est juste pourtant de dire que, dans cette difficile position, le général Mac-Clellan avait reçu quelques renforts. Une de ses anciennes divisions, celle de Mac-Call, lui avait été rendue. De plus, Fort-Monroë ayant enfin été mis sous ses ordres, il en avait tiré 5 ou 6,000 hommes. C’était quelque chose ; mais c’était trop peu, beaucoup trop peu pour combler les vides qui s’étaient faits dans les rangs, et que chaque jour agrandissait.

Ces jours écoulés dans l’inaction avaient encore l’inconvénient d’encourager les partisans ennemis à de hardis coups de main. Celui que tenta le colonel confédéré Lee fut un des plus singuliers de cette guerre. À la tête de 1,500 chevaux, il alla attaquer quelques escadrons qui faisaient le guet du côté d’Hanover-Court-House, et, les ayant dispersés, il fit une incursion heureuse sur les communications de l’armée. Son projet était de couper, à la faveur de la nuit, le York-River-Rail-Road ; il n’y réussit point. On eut là seulement le curieux spectacle d’un combat de cavalerie contre un train de chemin de fer ; le train, chargeant à la lettre et les cavaliers ennemis et les obstacles placés sur la voie, s’échappa sans autre perte que celle de quelques hommes tués et blessés par la fusillade. Mais si le colonel Lee n’avait pas réussi à détruire le chemin de fer, il avait fait une brillante razzia sur les magasins de l’armée, et, le coup exécuté, il avait pu s’échapper sans accident. Le malheur était que des tentatives de ce genre pouvaient se renouveler, et qu’on n’avait pas assez de monde pour s’y opposer partout à la fois. Quoiqu’au milieu de tant d’épreuves le moral[1] du soldat restât excellent, il n’y avait plus à se dissimuler que l’armée ne fût dans une position critique, qui ne pouvait que s’aggraver. Diminuée de plus d’un tiers depuis son entrée en campagne, décimée par les maladies, menacée sur ses derrières, elle se trouvait au cœur du pays insurgé, ayant devant elle des forces deux ou trois fois plus nombreuses que les siennes. On ne pouvait songer à demeurer in-

  1. Je n’ose ranger parmi les causes qui auraient pu agir sur ce moral le spectacle désagréable des affiches gigantesques qu’un embaumeur déployait au milieu du camp sous les yeux des soldats, et par lesquelles cet industriel, spéculant à la fois sur les pertes de l’armée et es affections de famille, promettait d’embaumer les morts et de les expédier à domicile au plus juste prix. Cet aventureux émule de Gannal sauva du reste la vie à un colonel qu’un évanouissement prolongé causé par un éclat d’obus avait fait regarder comme mort, et qui, mis à part pour être embaumé, revint à lui pendant l’opération.