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gularités de la guerre dans ces contrées si différentes des nôtres, les difficultés de toute nature contre lesquelles on a eu à lutter. J’ai raconté avec une égale franchise mes impressions bonnes et mauvaises. Le bien m’a souvent pénétré d’admiration, le mal n’a jamais pu affaiblir les sentimens de profonde sympathie que j’éprouve pour le peuple américain. J’ai voulu aussi faire toucher du doigt le triste enchaînement de fautes et d’accidens qui ont fait échouer le grand effort tenté pour le rétablissement de l’Union. Je n’essaierai pas d’interroger l’avenir sur toutes les conséquences de cet avortement. Elles ne se produiront que trop vite. Il serait oiseux et ridicule aujourd’hui de chercher à prédire quel sera à la longue le sort des combattans, lequel des deux partis engagés montrera le plus de ténacité, aura, qu’on nous passe ce terme, l’haleine la plus longue. Une chose est certaine : la campagne manquée de Mac-Clellan contre Richmond est destinée à faire répandre des flots de sang, elle prolonge une lutte dont les suites fatales ne se font pas sentir seulement en Amérique ; elle ajourne enfin la solution la plus désirable de la crise actuelle, le retour à l’Union, à la vieille Union. Je dis à la vieille Union avec intention, parce que je suis de ceux qui pensent que si le nord était vaincu, décidément vaincu, si le droit des minorités de résister par les armes aux décisions du suffrage universel était victorieusement établi, l’Union n’en aurait pas moins certaines chances de se refaire. Seulement elle se referait par la réhabilitation éclatante de l’esclavage.

Si le lien fédéral devait être définitivement rompu entre le nord et le sud, il le serait bien vite entre les divers états qui forment le faisceau septentrional. Chacun d’eux ne regarderait alors qu’à son intérêt, tandis que la confédération du sud serait de plus en plus étroitement unie par le lien puissant de l’esclavage. Elle aurait donné la mesure de sa force, acquis un grand prestige, et elle exercerait cette attraction qui s’attache toujours au succès et à la puissance. Victorieuse, elle étendrait les mains non-seulement sur les états contestés aujourd’hui du Missouri, du Kentucky, de la Virginie, mais même sur le Maryland. Baltimore serait l’entrepôt de toutes les marchandises étrangères. Les fers anglais arriveraient par là presque au cœur de la Pensylvanie. Qui peut dire si cet état, dont la population n’a peut-être guère moins de répugnance pour un nègre libre que pour un nègre esclave, ne se déciderait pas à faire sa paix avec la puissante confédération, moyennant les droits protecteurs que celle-ci s’empresserait d’accorder ? Car les états du sud ne sont libre-échangistes que pour les besoins momentanés de leur cause. Une fois les maîtres, ils redeviendraient Américains avant tout. New-York suivrait l’exemple de la Pensylvanie. Le