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Je descendis à la Marine dans la journée pour voir ce que la fête y devenait. Le saint reposait sous des tentures de calicot rose, ouvrant de gros yeux fixes à l’angle desquels apparaissaient encore quelques traces du blanc d’Espagne qui l’avait débarbouillé le matin et l’avait refait brillant pour le reste du jour. Quelques femmes agenouillées priaient autour de lui. J’allai m’asseoir au bord de la mer, devant les maisons dont la porte ouverte dévoile l’intérieur, qui a quelque chose de touchant dans sa simplicité : la chambre est grande ; du haut des solives enfumées pendent les filets ; les avirons sont rangés contre les murailles ; le fit large et haut sur pied apparaît au dernier plan, à côté du vieux bahut où s’étagent les plats ébréchés ; puis dans un coin une barque est là, tirée à l’abri, sous le toit même, auprès du foyer. Des flancs d’un de ces canots j’entendis sortir un vagissement: je m’approchai ; au fond, il y avait un court matelas, et sur le matelas un petit enfant qui s’éveillait. Les barques sont rangées au rivage sur un lit de gravier. Quand la mer est grosse, elle vient battre contre les maisons, enfonce les portes et noie la chambre. Si l’on demande aux matelots pourquoi ils ne construisent pas leur demeure plus haut, sur la colline, loin des vagues, ils haussent les épaules et répondent : Ç’a toujours été comme ça ! — Les marins de Capri sont renommés ; ils gagnent la haute mer, pèchent le poisson qu’ils vendent à Naples, et s’en vont jusque sur les côtes de Barbarie arracher le corail et les éponges.

Le soir, pour terminer victorieusement cette belle journée, on tira sur la place de la ville de Capri un feu d’artifice qui ne fut vraiment pas laid. La dernière fusée avait lancé dans l’espace sa gerbe lumineuse, le dernier soleil s’était éteint en tournant, et je me disposais à rentrer à l’albergo di Tiberio (toujours Tibère !), lorsque je fus accosté par un honnête Capriote qui me pria d’assister, le soir même, à un bal que les habitans se donnaient entre eux. J’acceptai avec empressement, car j’avais gardé un précieux souvenir des saltarellesque j’avais vu danser autrefois à la villa Borghèse, pendant le petit carnaval de Rome, par les belles popolane du Transtevere. Je me dirigeai donc vers la maison indiquée, me réjouissant d’être appelé à voir quelque chose de vraiment local et d’une réelle originalité. En approchant, mes oreilles furent surprises par un air connu, si connu, que je ne pouvais les en croire. Je m’arrêtai, j’écoutai : c’était bien ce même air, cette vieille rapsodie que savent tous les gamins de nos collèges. Je franchis le seuil de la maison ; il n’y avait point à s’y tromper, on sautait en mesure en se frappant dans les mains : on dansait le Carillon de Dunkerque ! O déconvenue des voyages ! ô mânes de Tibère ! En fait de rafraîchissemens, on passait des verres de vin rouge pleins à déborder et de forts biscuits bien nourrissans. Au Carillon succéda une polka, puis une sorte de con-