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5 grains sur les lieux, est chargée, à Naples, de poudre de seltz; alors, sous le nom de vin de Champagne, elle vaut une piastre (5 fr.) pour les Napolitains et 2 piastres pour les étrangers. Que boit-on à Naples sous le nom de vin rouge et de vin blanc de Capri? Je l’ignore, et Dieu sait cependant l’énorme quantité qui en est consommée; mais ce que je puis dire, c’est que l’île ne suffit pas à la consommation de ses seuls habitans; sauf une très petite quantité vendue à des particuliers, la récolte des vins est bue par les Capriotes eux-mêmes. Quand la vendange est infructueuse ou que l’oïdium se met au raisin, ce qui a lieu cette année, c’est un désastre.

Nul soin, nulle fatigue ne sont épargnés pour arracher à la terre tout ce qu’elle peut produire; néanmoins l’île est insuffisante à nourrir ses trois mille cinq cents habitans, elle leur donne à peine assez de blé pour la moitié de l’année : il faut aller chercher le surplus en terre ferme, à Sorrento, à Castellamare, à Naples. D’industrie, il n’y en a pas. Les femmes font quelques ouvrages en fine sparterie, mais c’est si peu de chose qu’il est superflu d’en parler. Les Capriotes vivent donc, comme les hommes primitifs, de pêche et d’agriculture; ils y ajoutent la chasse aux mois d’avril, de mai, de septembre et d’octobre, car leur île est un lieu de repos dans le passage des cailles, des grives, des tourterelles, des becs-figues et des bécasses. Quand je suis arrivé, les cailles passaient; depuis longues années, on ne les avait vues arriver en quantité pareille. On ne les chasse pas, on les prend au filet. Tout autour de l’île, partout où il y a assez de terre pour ficher un pieu, on enfonce des mâtereaux de distance en distance, entre lesquels on tend des filets à l’aide d’une corde jouant dans une poulie, absolument comme on hisse une voile à bord d’un navire. Les cailles, par bandes innombrables, arrivent en général une demi-heure avant le lever du jour : elles s’abattent dans les filets, où elles sont ramassées par les chasseurs embusqués. Le passage a été si abondant cette année, que la caille vivante s’est vendue 1 grain (4 centimes) sur le marché de Naples. Il en a été expédié d’immenses quantités en Angleterre. La moyenne de la récolte des cailles au passage du printemps varie, pour l’île de Capri, entre quarante et soixante-dix mille. Du reste, à cette époque la caille est mauvaise, amaigrie par les privations de l’hiver, fatiguée de son voyage; elle n’est vraiment succulente qu’au passage d’automne, lorsqu’elle s’est longuement ravitaillée dans les pays septentrionaux et qu’elle s’est fait cette pelote de voyage que les gourmets connaissent bien. La passe des cailles est une des richesses de l’île, et peut-être la plus sérieuse.

La flore naturelle est vigoureuse, et, sans être très variée, elle suffit pour donner à l’île une verdure charmante. Le souci sauvage abonde en massifs pressés qui font au loin de grands tapis d’or; les