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lation fut signée, et la plupart des soldats du Royal-Tirailleur-Corse anglais passa aux Napolitains. Les traces du combat existent encore; plus d’une maison a eu des chambres démolies par les boulets, que depuis on n’a pas reconstruites; sur les fortins qui s’élèvent près de la Marine, on voit les trous des balles, et parfois dans les champs on retrouve quelque bouton en cuivre oxydé, débris de l’uniforme d’un combattant de 1808.

Afin de mieux me rendre compte des difficultés que les troupes commandées par le général Lamarque avaient dû vaincre pour opérer leur débarquement, je voulus faire le tour de l’ile, qui n’a que neuf milles, trois lieues, de circonférence. Par un temps calme, et dans une bonne barque, c’est une promenade charmante. A la Marine, je pris un canot et je commençai mon périple minuscule. Une demi-heure après être parti, j’arrivais à la célèbre Grotte d’Azur, qui s’ouvre au nord dans la paroi d’un rocher haut d’environ douze cents pieds. L’entrée de la grotte est si basse et si étroite que l’on est forcé de désarmer les avirons et de se courber au fond de la barque pour ne point se heurter en passant. Dès qu’on a franchi le trou resserré qui sert de porte, on se trouve en pleine féerie. L’eau profonde, claire à laisser voir tous les détails de son lit, teinte d’une nuance de bleu de ciel adorable, projette ses reflets sur la voûte de calcaire blanc, et lui donne une couleur azurée qui tremble à chaque frisson de la surface humide. Tout est bleu, la mer, la barque, les rochers; c’est un palais de turquoise bâti au-dessus d’un lac de saphir. Le matelot qui me conduisait se déshabilla et se jeta à l’eau; son corps m’apparut blanc comme de l’argent mat, avec des ombres de velours bleuissant aux creux que dessinait le jeu de ses muscles. Ses épaules, son cou, sa tête, étaient au contraire d’un noir cuivré ; on eût dit une statue d’albâtre surmontée d’une tête de bronze florentin. Les gouttelettes qu’il faisait jaillir en nageant, les globules qui se formaient près de lui, étaient comme des perles éclairées par une lumière bleuâtre. Le ciel se couvrit; la couleur alors fut moins intense, et se revêtit, dans les fonds surtout, d’un glacis de teinte neutre. Le nuage qui voilait le soleil s’envola, et dans toute la grotte un feu d’artifice azuré éclata, jetant sur les pierres humides des étincelles d’un bleu lumineux. Je ne pouvais me lasser d’admirer cette splendeur et de regarder l’homme blanc à tête noire qui se baignait dans ces flots célestes.

Qui a découvert cette merveille ? Est-ce le pêcheur Angelo Ferrara le 16 mai 1822? est-ce l’Allemand Kapisch le 19 août 1826? Est-il vrai que Capaccio en parle dans ses Historiœ napolitanœ libri duo, publiés en 1605? Qu’importe? C’est la plus belle curiosité naturelle que j’aie jamais vue, et cela me suffit. Les anciens la connaissaient-ils ? C’est probable, et ils ont dû alors la consacrer à