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comment la nation politique, la nation patricienne et sacerdotale, sabine et étrusque, et qui a régné si longtemps, se serait de si bonne heure enorgueillie d’être le peuple romain.

On ne comprend guère en général de quelle manière des races ou des peuplades si différentes qu’après plus de vingt siècles on peut encore caractériser leurs mœurs, leurs cultes, leurs langues, et cependant si voisines qu’elles habitaient entremêlées sur des collines de l’importance de Montmartre, ont pu se faire des guerres qui ont laissé des souvenirs et des traces, et tour à tour se confondre et se combattre l’une l’autre, souvent malgré la diversité ou la communauté des races. Les relations de bon ou de mauvais voisinage ne paraissent pas avoir dépendu de la question des origines. Le trait particulier de l’histoire de Rome, c’est de présenter un si grand nombre de nationalités différentes constatées et réunies dans un si petit espace. Elles sont souvent accouplées ou même associées par trois, par quatre, et forment localement des populations mixtes et circonscrites qu’opposent les unes aux autres des intérêts ou des passions souvent énigmatiques pour l’histoire, et elles ont fini par être successivement absorbées dans une seule, appelée au titre de maîtresse du monde.

M. Ampère retrouve, et il décrit admirablement, une Rome Sabine, une Rome étrusque, et toutes les deux mêlées ensemble et dans les mêmes lieux ; il ne retrouve pas sous les rois une Rome romaine. Le Forum, ce fameux Forum, était le marché des Sabins. Comment est-il devenu ce qu’il est encore, Foro romano ? C’est la main des Étrusques qui l’entoura de ses premiers monumens, peut-être même de ses premières statues, et ce n’est qu’après l’Étrusque Servius Tullius que l’on voit poindre une nation romaine, du nom des plus rustiques habitans du Septimontium, du nom de cette poignée d’aventuriers retranchés sur le Palatin. À cette époque, des voisins de même race, des Albains, avaient été, des ruines de leur cité, transportés violemment par les rois vainqueurs sur l’Aventin et le Célius. Latins comme les bandes palatines qui formaient déjà dans ce peuple naissant la tribu des Rhamnes, ils s’unirent à elle ; protégés par Servius, le roi démocrate, ils paraissent avoir commencé le rôle de l’élément plébéien au sein de cette société en formation, et le nom même de cette tribu peut avoir été l’origine véritable du nom « Romain. » Cependant il n’en résulte pas que l’appellation de peuple romain fût créée du temps de Brutus, et Brutus lui-même, si on l’avait appelé Romain, se serait sans doute étonné, heureux s’il n’eût pas pris ce nom comme une injure.

Cependant soyons justes, plébéiens et patriciens, Latins et Sabins, ont également applaudi à la chute des rois et salué des mêmes