Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/972

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la race serbe, si divisée d’ailleurs, se reconnaît et se sent une. L’admiration et un amour commun sont les liens de ses rameaux séparés. Pierre Ier, Kara George, Milosch, sont les véritables enfans d’une patrie commune, n’empruntant rien à l’Occident, qui s’est peu soucié d’ailleurs de leurs luttes. Ils sont restés exclusivement Serbes ; mais ils sont dans toute la grande nation serbe compris de tous et accessibles à tous[1]. »

M. Delarue, que je viens de citer, fait lui-même partie de l’histoire récente du Monténégro. Secrétaire du dernier prince, Daniel Ier, il a pris une part active aux luttes du Monténégro contre les Turcs. Il ne s’y était pas épargné, et par son courage et son dévouement il méritait de périr sur un champ de bataille. Il mourut de maladie à Paris, au moment de retourner dans le Monténégro. Il était, comme le dit si bien un de ses amis, M. d’Avril, dans quelques pages émues et touchantes, il était de cette race de Français aventureux et hardis, comme il s’en trouve encore parmi nos missionnaires et parmi nos militaires. C’était aussi bien pour M. Delarue une véritable mission que cet emploi de secrétaire auprès du prince du Monténégro; il avait un peuple à soutenir et l’influence de la France à répandre parmi les Slaves. Il s’y mit de cœur, jouissant de cette aventure qui allait bien à son caractère, mais n’en attendant rien que le plaisir de l’avoir eue et d’avoir fait un peu de bien. Sa bravoure française, mais du genre calme, étonnait les Monténégrins, fort courageux de leur nature, et dans le combat de Grahovo, en 1858, comme il allait d’un groupe de Monténégrins à l’autre pour diriger leur feu, sans s’inquiéter des balles qui sifflaient à ses oreilles, c’est une légende maintenant au Monténégro « que le Français avait le don surnaturel d’écarter les balles en agitant ses mains autour de la tête comme un éventail[2]. »

L’année 1858 fut heureuse pour le Monténégro : il vainquit les Turcs, et avant même de savoir cette victoire, le gouvernement français déclara dans le Moniteur qu’il protégerait l’indépendance du Monténégro. Cette déclaration produisit un grand effet dans l’Adriatique, car elle était dirigée en même temps contre la Turquie et contre l’Autriche; c’était un des petits signes précurseurs de la guerre d’Italie. Les paroles du Moniteur furent appuyées par une escadre française envoyée à Raguse, et comme cette escadre était commandée par M. Jurien de La Gravière, l’ascendant de l’homme s’ajouta cette fois à la puissance des paroles officielles[3].

  1. Le Monténégro, par M. Henri Delarue, secrétaire du prince Daniel Ier de 1856 à 1859, p. 65 et 66.
  2. Notice de M. d’Avril sur M. Delarue, p. 12.
  3. N’oublions pas les habiles efforts de M. Hecquart, aujourd’hui consul à Damas.