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à la manière anglaise ou américaine ; c’est un républicain de l’âme, un moraliste profond et indépendant, l’apôtre d’une foi sévère qui n’accepte d’autre guide que la conscience et la réflexion. Pour avoir essayé de faire connaître à la France ce penseur original, sorti d’une autre race et d’un autre culte, il faut un attachement sincère à notre pays et un désir généreux de répandre ce qu’on croit la vérité. La même passion de noble propagande se retrouve dans le nouvel écrit échappé de la même plume ; la Vie de village en Angleterre[1] est dans l’ordre économique et politique ce qu’est l’Étude sur Channing dans l’ordre moral et religieux.

L’auteur a cette fois encadré sa pensée dans un petit roman qui ne manque ni de délicatesse ni d’intérêt. Un Français, exilé de sa patrie après le coup d’état du 2 décembre 1851, se réfugie en Angleterre, où il est parfaitement accueilli par une famille du Hampshire, et finit par épouser une des filles de son hôte. Les divers incidens de cette histoire ont pour but de nous faire assister à cette vie si saine et si morale que mènent en Angleterre les propriétaires de campagne. L’auteur y dépeint les rapports affectueux qui s’établissent tous les jours entre les diverses classes de la société anglaise, grâce à la déférence respectueuse des uns et au dévouement spontané des autres ; il s’attache surtout à nous montrer les institutions de bienfaisance que fait naître de toutes parts l’initiative des particuliers et que développe l’esprit d’association : spectacle en effet bien digne d’attention et de sympathie, exemple précieux à suivre, autant que nous le permettent nos mœurs et notre organisation sociale.

Le premier épisode se passe chez un pasteur que l’exilé a connu en Suisse, et dès ce premier pas apparaît une des différences essentielles entre la France et l’Angleterre. Quoiqu’il n’ait qu’une petite paroisse, le pasteur de Kingsford, M. Norris, a un revenu de 400 livres sterling ou 10,000 francs ; il habite un presbytère élégant, il est marié, et augmente encore son aisance en recevant chez lui quelques élèves qu’il prépare pour l’université. Il y a loin de cette existence à celle de nos pauvres curés de campagne, qui habitent un presbytère délabré avec 900 francs de traitement, et qui vivent dans la solitude. Peut-être est-ce trop d’un côté, à coup sûr ce n’est pas assez de l’autre. L’église anglicane a conservé ses revenus, le clergé français a perdu les siens. Outre les cures proprement dites, nos campagnes renfermaient autrefois des prieurés, des abbayes, dont les titulaires vivaient dans l’aisance et quelquefois dans la richesse. Tout cela a disparu.

Très bien reçu par son ami Norris, notre Français loue un petit appartement dans un collage voisin, pour jouir à son aise du charme de la campagne : autre trait de mœurs digne de remarque, car en France il y a peu d’appartemens à louer dans les villages et peu d’amateurs pour les rechercher, si ce n’est dans les environs immédiats de Paris et de deux ou trois grandes villes. Moyennant 22 shillings par semaine ou à francs par jour, car tout est à noter dans ce tableau fidèle d’un village anglais, il a deux chambres très propres, blanchies à la chaux, un mobilier suffisant, et trois repas. Le collage fait partie d’une autre paroisse que Kingsford, c’est Lynmore. Notre exilé est bientôt invité à dîner par la dame du lieu, une vieille

  1. Un volume in-18, par l’auteur de l’Étude sur Channing.