Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/1002

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment et qui développât ses ressources matérielles ; il lui en fallait un aussi qui s’associât à sa vie nationale, qui partageât ses instincts et jusqu’à ses rêveries. Dans l’état présent de l’Europe, en présence du culte voué par les grandes puissances au dogme de l’équilibre, il ne pouvait être question pour les Grecs de renouveler une croisade et de se faire les agresseurs. Leur seule politique jusqu’à nouvel ordre était de constituer un état qui pût un jour servir de point de ralliement, de foyer d’attraction aux épaves du grand naufrage de l’empire ottoman.

C’est cette politique qui a fait la haute fortune du Piémont et de la maison qui en portait la couronne. C’était une politique légitime, puisqu’elle ne faisait de propagande que celle de l’exemple. Pendant de longues et laborieuses années, le Piémont a été en Italie le seul représentant de la liberté et de la nationalité. Lui seul avait une armée nationale, un parlement national, des finances régulières, des institutions libres, tout ce qui fait un gouvernement, et de plus il avait une famille royale en entente cordiale, en alliance naturelle et instinctive avec la nation. C’est pourquoi, quand arriva la dissolution, quand se fit l’écroulement de tous les trônes d’Italie, les peuples se rallièrent instinctivement à celui qui représentait pour eux l’ordre et la sécurité en même temps que la liberté et l’indépendance.

C’est cette position que la Grèce aurait pu prendre en Orient, pour laquelle du moins elle aurait pu se préparer pendant ces trente années perdues, si elle avait eu un roi vraiment national. Les Grecs auraient toléré beaucoup d’usurpations de la part de leur souverain, s’ils avaient cru pouvoir compter sur lui au jour de la crise, s’ils l’avaient cru animé de la foi nationale et prêt à risquer sa vie et sa couronne comme le roi Victor-Emmanuel. Telle n’était point la vocation de ce pauvre prince germain, moins encore l’intention des grands politiques qui l’avaient mis sur le trône de Grèce comme un éteignoir. Il aurait manqué à la confiance des grandes puissances, s’il s’était montré un vrai roi, s’il avait compris les grandes destinées de sa nouvelle patrie. Le meilleur service qu’on puisse lui rendre désormais, c’est de le laisser dans l’oubli où il est déjà enseveli.

Voilà donc les Grecs rentrés dans l’exercice de leur libre arbitre ; que vont-ils en faire ? Ils ont écarté tout d’abord la forme républicaine, et ils ont agi sagement pour deux raisons : la première, parce qu’en se constituant en république ils se seraient aliéné tous les gouvernemens établis ; la seconde, parce que la forme républicaine n’est pas celle qui convient le mieux à leurs besoins. Dans l’état actuel de l’Europe, l’établissement d’une république serait une menace de révolution pour les trônes, et une menace d’anarchie pour les peuples. Or les Grecs sont trop politiques pour ne pas compren-