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que nous envisageons la question de dynasties et la question de personnes avec la plus grande impartialité, pour ne pas dire avec la plus profonde indifférence. Nous nous mettons simplement à la place des Grecs, comme en pareilles circonstances nous nous mettrions à la place des Italiens. Le meilleur roi, c’est celui qui peut être le plus utile; il appartient aux peuples de faire eux-mêmes leurs affaires, et s’ils n’en sont pas capables, c’est qu’ils n’en sont pas dignes. Tel est le seul point de vue sous lequel nous ayons à examiner la question du choix d’un roi de Grèce.

Les raisons qui empêchent les Grecs de choisir la forme républicaine les empêcheront également de choisir un roi parmi les familles indigènes. Le sentiment d’égalité qui est dans les mœurs du pays rend ce choix impossible ; aucun Grec ne saurait être roi, parce que chacun se considère comme digne de l’être. Une royauté indigène serait une source de guerres civiles. Les Grecs sont donc amenés à prendre un souverain dans une des familles régnantes de l’Europe, et c’est ici que surgissent les difficultés avec les jalousies.

Nous nous abstiendrons de rechercher ou de discuter le plus ou moins de validité des protocoles de 1830 par lesquels les puissances signataires des traités de 1827 et plus tard des traités de 1832, afin de ne pas se quereller entre elles, convinrent que le roi de Grèce ne serait pris dans aucune de leurs familles royales. Dussions-nous faire frémir les cendres illustres de M. de Groot et de M. Vattel, nous dirons que ces protocoles ne s’appliquaient qu’à une situation particulière et déterminée, et sont devenus aujourd’hui une lettre morte. Il n’y a point de traités qui aient le droit d’enchaîner la liberté intérieure d’un peuple, et, dans les rapports politiques comme dans les rapports sociaux, le droit individuel n’est limité que par le droit d’autrui. Si l’on trouvait que nous ne parlons pas assez respectueusement des traités, nous pourrions rappeler qu’il y en a qui excluent à jamais la famille Bonaparte du trône de France, et que pas une puissance en Europe n’a eu l’idée ou la tentation de les exhumer quand l’occasion s’en est présentée.

Nous reconnaîtrions donc très volontiers aux Grecs le droit de porter leur choix sur un prince de la famille royale d’Angleterre, si ce choix était sérieux. Sous un certain point de vue, et si la Grèce était la Belgique, ce choix serait peut-être le meilleur. Un prince ayant reçu une bonne éducation politique, ayant appris à la bonne école l’observation des lois et le respect des libertés publiques, serait une excellente importation à faire dans un pays neuf. Cependant un prince anglais se heurterait toujours contre les mêmes difficultés qui ont fait reculer le roi Léopold, et son plus grand écueil serait dans sa propre sagesse. Avec cet étonnant esprit de discipline qui les fait, quand il le faut, enrégimenter les opinions comme des