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tré hier dans la Grèce, et que le droit de conquête y sévit encore dans sa rigueur primitive... Voyez les Turcs! spectateurs dédaigneux de notre civilisation, de nos arts, de nos sciences, ennemis mortels de notre culte, ils sont aujourd’hui ce qu’ils étaient en 1454, un camp de Tartares assis sur une terre européenne. La guerre entre nous est naturelle, la paix forcée. Dès que le chrétien et le musulman viennent à se toucher, l’un des deux doit servir ou périr. »

Servir ou périr, telle est l’alternative de la chrétienté en Orient, et celle contre laquelle les Grecs protestent depuis plus de quatre cents ans. Les hommes politiques qui font complètement abstraction de la question religieuse prétendent que le gouvernement turc, comme pouvoir central, maintient seul l’ordre et l’unité parmi les populations mélangées de l’Orient; mais dans cette apparence d’ordre et d’unité tout est factice : conquérans et conquis, vainqueurs et vaincus, sont toujours aussi séparés, aussi irréconciliables qu’au premier jour. C’est la Grèce qui, par la géographie et par l’histoire, par le génie de son peuple et par sa religion nationale, est le plus naturellement appelée à accomplir cette fusion et à servir de lien entre l’Orient et l’Occident. Ce n’est pas sans un dessein bien raisonné que les Grecs avaient introduit dans leur constitution l’obligation pour l’héritier de la couronne de professer la religion du pays. En effet, leur église représente pour eux la nationalité et l’indépendance; elle est associée au long et sanglant martyrologe de leur histoire; elle est le symbole et le tabernacle de leur unité nationale. C’est pour cette raison que ni la propagande catholique ni la propagande protestante n’ont jamais fait aucun progrès en Grèce, et elles n’en feront aucun jusqu’à ce que la croix grecque ait été replacée sur le dôme de Sainte-Sophie. Aujourd’hui tout Grec qui se convertirait aurait l’air de changer de patrie en même temps que de religion.

Que le nouveau roi de Grèce fut Anglais, ou Français, ou Russe, ou Allemand, ou Suédois, ou Portugais, en vérité cela importerait peu, pourvu qu’il pût être ou devenir un roi véritablement national. Or, sous ce rapport, un prince professant déjà la religion du pays présentait un immense avantage. Les puissances occidentales craignent que tout ce qui servira à l’église grecque ne tourne au profit de la Russie. Nous croyons que c’est une erreur. Nous croyons que la vraie politique de l’Occident serait de créer ou d’appuyer en Orient un empire grec qui y serait le contre-poids de la Russie. La Russie ne peut que gagner à entretenir l’anarchie et le désordre dans la Grèce et dans l’empire ottoman, et à empêcher qu’il ne s’y forme un établissement régulier. Il nous sera permis de dire que l’opinion que nous exprimons ici n’est pas née aujourd’hui; il y a