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Que la France soit en état de subvenir, par une accumulation de dons volontaires, aux besoins des ouvriers de la Seine-Inférieure pendant la durée du chômage, qui Fuserait mettre en doute ? Un pays si docile au fisc, qui montre des ressources si abondantes à l’appel des taxes, un pays qui cette année, malgré la mauvaise situation de l’industrie, aura fourni au trésor un excédant de 80 millions sur le revenu de l’année dernière, un pays qui se passe, quand il agit sous le couvert de l’état, tant de fantaisies de luxe ou de gloriole, un pays qui inaugure tous les ans quelque splendide boulevard dans sa capitale et qui fait tant d’abatis de maisons dans ses grandes villes, un pays qui sème au Mexique une quantité énorme de millions qu’on reverra Dieu sait quand, trouverait-il tout-à coup le fond de sa bourse lorsqu’il s’agit non d’exposer la vie des hommes en de lointains combats et à de funestes maladies, mais de faire vivre des vieillards, des femmes, des enfans et de mâles travailleurs, lorsqu’il s’agit non d’ériger sur les places publiques des monumens de pierre ou de carton, mais de se construire dans des cœurs d’hommes un monument de fraternelle reconnaissance ? L’exemple de ce qui se passe en Angleterre n’est pas seulement pour nous un motif d’émulation, il nous prouve ce que nous pouvons faire. Nous sommes aussi riches que les Anglais, et il est probable que nous n’avons point à faire face à une misère égale à celle qui désole le Lancashire. Le dernier meeting tenu à Manchester pour venir en aide à la détresse de ce comté nous apprend ce que la générosité publique a produit en quelques semaines en Angleterre. Sans parler de toutes les œuvres de la charité privée, ni des sacrifices particuliers qu’ont dû s’imposer les manufacturiers, ni des charges qui sont venues surgrever l’assistance publique et locale, le fonds de secours formé par les contributions volontaires s’élevait au commencement de ce mois à 540,000 livres sterling ou 13 millions 1/2 de francs. Depuis, il y a eu recrudescence de souscriptions, et nous ne serions point surpris si le fonds de secours arrivait avant la fin de l’année à 20 millions de francs. Dans la somme réalisée, le Lancashire seul avait contribué pour 10 millions. Il est impossible que la France ait à secourir des misères égales à celles qui ont ému la générosité du public anglais ; mais, quand elle devrait réunir 10 ou 15 millions pour aider ses ouvriers, ce sacrifice serait-il au-dessus de ses forces ? Lord Derby, le président du comité d’exécution de la souscription anglaise, a témoigné l’espoir que les ressources fournies par les contributions volontaires suffiraient à conjurer le mal, et que l’on n’aurait point l’humiliation d’implorer l’assistance du parlement, c’est-à-dire de l’état. Son fils, lord Stanley, en rapprochant la situation du marché des produits manufacturés des nouvelles qu’il a reçues de l’Inde concernant la production de la matière première, semble croire que la crise ne commencera de s’atténuer que dans trois ou quatre mois. Il est vraisemblable que le chômage chez nous devra s’étendre sur une période non moins longue. Que l’on nous expose donc la situation tout entière, que ceux qui ont pris l’honorable initiative d’une souscription publique nous disent les choses