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nécessairement calmer leur impatience. Les intérêts bien entendus de la situation intérieure exigeaient également la retraite de M. Rattazzi. Le cabinet Rattazzi ne s’était pas formé dans les conditions régulières du gouvernement parlementaire. La majorité conservatrice de la chambre tolérait ce cabinet et n’avait pas confiance en lui. Les affinités de M. Rattazzi étaient avec la gauche. Il avait amené dans le cabinet le leader de la gauche, M. Depretis, qui lui-même avait déclaré, quelques mois avant, que son parti ne reconnaissait pour chef que le général Garibaldi. De là une équivoque dont toutes les situations avaient à souffrir. Le parti d’action, croyant pouvoir compter sur la tolérance du ministère, s’est plus facilement livré à ses dangereuses hardiesses. Les amis de Garibaldi avaient cru qu’ils arriveraient plus facilement à leur but en devenant ministériels. Déçus dans leurs illusions, les succès parlementaires ne leur ont plus suffi : ils ont voulu tenter les grands moyens à Sarnico et en Sicile ; ils ont crié à la trahison, et se sont exaspérés quand le ministère, sur lequel ils avaient compté, a été obligé de réprimer leurs tentatives. Le ministère de son côté, se fiant peu à un parlement sur lequel il n’avait pas d’autorité, s’est cru obligé, pour sauver le pays du désordre, de sortir des voies constitutionnelles. Une véritable anarchie morale avait été l’effet de cette politique contradictoire, qui ne s’était pas rendue intelligible au pays par des principes nettement posés, et à laquelle le système des expédiens faisait plus de mal qu’il ne lui rendait de services. Les actes du gouvernement n’étant pas liés par l’unité des principes et des vues, les populations ne comprenaient rien à la politique ministérielle ; elles donnaient accueil aux bruits les plus étranges et les plus absurdes ; la défiance et le découragement s’emparaient d’elles. La prolongation d’un tel état de choses eût été fatale à l’Italie. Nous ne regrettons point même que l’on n’ait pas tenté une combinaison où les chefs de la majorité se seraient réunis à M. Rattazzi. Cette conciliation apparente n’eût fait que perpétuer les équivoques et restreindre l’élasticité du gouvernement constitutionnel en Italie. Les hommes se seraient usés, et les affaires eussent été paralysées. M. Rattazzi l’a compris lui-même, et on lui doit cette justice, qu’il a cédé à un scrupule honorable en ne cherchant pas à fortifier son ministère par de nouvelles accessions. Pour remanier son cabinet, M. Rattazzi eût été forcé d’en éloigner M. Depretis, celui de ses collègues justement qui avait fait les plus grands sacrifices de popularité.

Le roi Victor-Emmanuel a montré dans cette crise ministérielle le tact d’un parfait souverain constitutionnel. Il a refusé de dissoudre le parlement et d’affronter une émotion publique, qui sans nécessité eût tout remis en question et tout livré au hasard. Il a essayé d’une solution conciliatrice qui aurait réuni M. Rattazzi aux chefs de la majorité ; mais il s’est vite aperçu qu’une tentative de ce genre n’avait pas de chances de succès, et il n’a pas insisté. Il s’est dès lors prêté de bonne grâce au jeu naturel des institutions représentatives, il a accepté le ministère que désignait la situa-