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commencent à se plaindre, parce que la mauvaise qualité des vins de ces deux dernières années a un peu réveillé la distillation.

Quand on entre dans le détail de la production par département, ou trouve que la récolte a diminué de plus de moitié, depuis dix ans, dans la partie septentrionale de la France. La Bourgogne seule a peu perdu ; les vignobles de la Lorraine et de la Champagne, ceux des bords de la Loire et ceux de la Saintonge, si productifs jusqu’ici, ont été rudement éprouvés. Dans la moitié méridionale du territoire, il y a eu perte aussi, mais moins forte ; on peut évaluer à un quart environ le déficit moyen de récolte dans la Gironde, le Gers, la Haute-Garonne, etc. D’autres départemens sont restés à peu près stationnaires, comme le Gard, le Var, Vaucluse. Deux ont doublé leur production, l’Hérault et l’Aude, comme on peut s’en convaincre par les chiffres suivans, empruntés encore à l’administration des contributions indirectes :


1850 1861
Hérault 2,934,000 hectolitres 5,766,000 hectolitres.
Aude 657,000 — 1,313,000 —
3,591,000 hectolitres. 7,079,000 hectolitres.

Dans le désastre universel de la production vinicole, ces deux départemens présentent l’exception la plus brillante. L’Hérault surtout, qui occupait le troisième rang parmi nos départemens producteurs, est passé brusquement au premier, laissant derrière lui la Gironde et la Charente-Inférieure, qui le dépassaient autrefois. L’extension des chemins de fer a permis aux vins de l’Hérault de venir combler, du moins en partie, le déficit des autres vignobles, et le prix en a doublé comme la quantité, de telle sorte que cet heureux département a vu quadrupler en peu d’années le revenu qu’il retirait de ses vins. On ne peut pas y évaluer aujourd’hui à moins de 100 millions la valeur annuelle de la récolte, tandis qu’elle ne dépassait pas 25 millions il y a dix ans.

En 1850, les vignes couvraient le tiers environ de la superficie cultivable de l’Hérault ; aujourd’hui elles s’étendent sur la moitié ; dans dix ans, si le mouvement se soutient, elles auront envahi les deux tiers ; il ne restera en terres arables et en prairies que les parties montagneuses des arrondissemens de Lodève et de Saint-Pons.

L’arrondissement de Béziers en particulier, qui avait déjà 50,000 hectares de vignes, en aura bientôt près de 100,000. C’est dès aujourd’hui le plus grand vignoble de France. Les arrondissemens de Bordeaux, d’Angoulême et de Nîmes, qui viennent après, en ont à peine la moitié. Quand on traverse cet arrondissement, on ne voit autour de soi que des pampres ; les vignes descendent jusqu’au bord des rivières et gravissent les pentes les plus escarpées ; toutes les autres cultures reculent et disparaissent. De la cathédrale de Béziers, la vue embrasse une vaste plaine, bordée par les Cévennes, qui est maintenant un des plus riches comme un des plus beaux pays de l’Europe ; l’éclatante verdure des vignes la couvre tout entière, et une fraîche rivière des montagnes, l’Orb, l’arrose de ses eaux transparentes, sous un soleil ardent. Le chemin de fer de Béziers à Graissessac, qui n’a eu jusqu’ici que des mésaventures, mais qui prendra une tout autre