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ajournèrent ses projets. En pareille matière, et avec un esprit impétueux dont les horizons s’agrandissent de jour en jour, on peut dire infailliblement : projet ajourné, projet abandonné. Le jeune Fallmerayer fit deux ans de théologie à Salzbourg, et renonça pour toujours à l’église. Sentait-il s’affaiblir sa foi, ou bien un enseignement trop scolastique avait-il dégoûté ce noble esprit amoureux de l’art et de la poésie des Hellènes ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait étudié consciencieusement les leçons de ses maîtres, qu’il connaissait à fond les livres saints, les pères, les canons, l’histoire ecclésiastique, et que plus tard, engagé dans des rangs opposés, il étonnait ses adversaires par son érudition toute spéciale et la précision de sa mémoire.

La jurisprudence, qui l’attira bientôt, le retint moins longtemps encore que la théologie. Il était allé à l’université de Landshut pour étudier le droit germanique et le droit romain ; ce furent les lettres, les hautes lettres, je veux dire la critique renouvelant l’histoire par les langues et la littérature par l’histoire, ce furent ces grandes créations de nos jours qui lui firent oublier tout le reste et décidèrent enfin de sa destinée. L’écho de la science de Gœttingue retentissait dans les universités de la Bavière ; l’illustre philologue Heyne avait des disciples à Landshut. Fallmerayer fut bientôt initié à ces travaux d’une linguistique hardie, berceau et foyer de tant de découvertes immortelles dans le domaine de l’histoire.

Entre cette vive lumière de l’antiquité rajeunie et les ténèbres d’où il sortait, la transition était brusque et dangereuse : s’il y a des ombres mauvaises, il y a aussi des clartés aveuglantes. Fallmerayer ne s’est jamais expliqué bien nettement sur les misères morales du couvent de Brixen et des théologiens de Landshut ; une seule fois seulement il lui est échappé de dire que tout ce monde au milieu duquel s’était écoulée sa première jeunesse était un foyer de superstitions. La bienveillance naturelle qui s’unissait chez lui à une pensée audacieuse, la reconnaissance qu’il gardait à son vieux professeur de grec, arrêtaient les révélations sur ses lèvres. Il suffit cependant d’interroger les témoignages contemporains pour se faire une idée de l’esprit sombre, étroit, abêtissant, qui régnait alors dans le clergé du Tyrol, et pour comprendre l’impression funeste ressentie par ce théologien de vingt ans lorsque du sein des superstitions les plus grossières il passa tout à coup dans le libre monde des Hellènes, sous le soleil de Phidias et de Sophocle. Il en garda maintes rancunes amères contre cette religion si complète, si divine et si humaine tout ensemble, immortel principe de tant de vertus, mais sous laquelle s’abritent si commodément aussi l’ignorance et le fanatisme. « Il n’eut pas le loisir, dit son exécuteur testamentaire, de suivre historiquement ce travail d’épuration que la philosophie chrétienne