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lendemain même des révolutions. C’est un souvenir dont il se glorifiait volontiers. Au mois de novembre 1815, il suivit son régiment au-delà du Rhin, et fut envoyé à Lindau, sur les bords du lac de Constance. Où devine bien qu’avec son esprit actif et avide, Fallmerayer n’employait pas comme le premier venu les loisirs de la vie de garnison. À la caserne comme au couvent, s’il eût fallu s’en tenir à la règle officielle, cette nature ardente se serait dévorée elle-même. Il travaillait comme un bénédictin. Aussi, lorsqu’il renonça aux armes en 1818, était-il tout prêt à prendre sa place parmi les maîtres de l’enseignement, comme s’il eût été aguerri depuis longtemps aux luttes académiques. Nommé professeur d’abord au gymnase d’Augsbourg, puis au lycée de Landshut, il occupa treize années ces modestes fonctions (1818-1831), et, soit qu’il instruisît des enfans, soit qu’il parlât du haut de la chaire à un public digne de lui, il déployait toujours le même dévouement au progrès de la culture des âmes.

C’est pendant ces treize années d’enseignement que naquirent les deux grandes œuvres historiques auxquelles son nom est demeuré attaché. Une académie danoise, la Société royale des sciences de Copenhague, avait mis au concours en 1824 une des questions les plus ardues de l’histoire byzantine : il s’agissait de retrouver tout un empire, un empire qui a duré plusieurs siècles, qui a eu ses jours d’éclat avant les catastrophes suprêmes où il a disparu, et qui semblait n’avoir laissé d’autre trace que son nom dans les annales du monde. On sait que la famille des Comnènes, chassée du trône de Constantinople en 1185 par une révolution de palais, se retira sur les côtes de l’Anatolie, et y fonda un empiré dont Trébizonde fut la capitale. Trébizonde, l’empire de Trébizonde, les merveilles de Trébizonde, voilà des mots qui reviennent Souvent dans les chansons du moyen âge ; quelle est l’histoire réelle de cette cité que les imaginations peuplaient de légendes chevaleresques ? De 1185 à 1453, quelles furent ses destinées ? A-t-elle été soumise par les Turcs avant ou après Constantinople ? A quelle date, sous quel règne, au milieu de quelles scènes tragiques, a-t-elle été engloutie par l’inondation ottomane ? Personne jusqu’à nos jours n’avait répondu à ces questions. Le grand explorateur des chroniques de Byzance, Ducange lui-même, il y a deux siècles, déclarait qu’il fallait se résigner, et que cette histoire des Grecs de Trébizonde était couverte d’un voile impénétrable. Gibbon, après de nouvelles recherches, de nouveaux labeurs, laisse échapper la même plainte. « Tout espoir est perdu, disait-il, on ne dissipera jamais ces ténèbres. » Fallmerayer, provoqué par l’appel de l’académie de Copenhague, entreprit de découvrir ce qui avait résisté aux recherches de Gibbon et de Ducange. Déjà mis sur la piste par ses travaux personnels et son instinct.