Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette haute sollicitude. Quand ce n’était encore qu’un mémoire, il avait été couronné par la Société des sciences de Copenhague, et de flatteuses paroles de l’illustre Oersted avaient accompagné l’envoi de la médaille d’or décernée au vainqueur (août 1824) ; complété par les secours de M. Hase et de M. de Sacy, enrichi de tout ce que Fallmerayer lui-même avait découvert à Venise, à, Vienne, à Munich, et puisé directement aux sources orientales, ce grand travail fut une révélation pour l’Europe savante. L’Histoire de l’empire de Trébizonde parut à Munich en 1827[1]. Dans le mouvement des études historiques de notre âge, on peut dire que c’est là une date mémorable. Le XIXe siècle avait relevé le défi de Ducange et de Gibbon, et ce n’était pas là seulement une victoire de l’érudition conquérante : le talent de l’écrivain égalait la hardiesse de l’investigateur. « Enfin, s’écriait un critique, voilà un livre qui fait honneur à la science allemande, à la pénétration allemande, et aussi à l’énergie de la libre pensée allemande ! Nous cherchons dans notre littérature historique un homme qui mérite d’être placé à côté de l’auteur, et nous ne le trouvons pas. » Niebuhr était pourtant à cette date le roi de la grande critique et de l’histoire renouvelée ; bien loin d’éprouver le moindre sentiment jaloux, il s’empressa de féliciter le jeune vainqueur, et, comme il préparait alors une édition des historiens byzantins, il lui demanda le concours de sa science. À Londres et à Paris, le succès fut aussi grand qu’à Berlin auprès des hommes qui avaient qualité pour juger.

Nous n’avons pas la prétention de mettre ici en lumière tout ce que l’Histoire de Trébizonde contenait de richesses inattendues. La fuite d’Alexis Comnène, encore enfant, après que son père et ses oncles eurent été massacrés à Constantinople, sa retraite en Colchide, son éducation dans le Caucase, ses luttes héroïques à l’heure où il devient un homme, sa conquête de Trébizonde et des contrées voisines, l’empire qu’il établit sur les côtes de la Mer-Noire, les destinées de cet empire sans cesse menacé au sud et à l’est, son rôle au moment de l’invasion mongole, son alliance avec les sultans asiatiques, les luttes intérieures entre le souverain et les vassaux, le triomphe de l’aristocratie féodale, les menaces de plus en plus pressantes des Osmanlis, les conspirations de palais mêlées aux guerres extérieures, les aventures tragiques ou romanesques éclatant au milieu des calamités publiques, le mariage de la belle Catherine, fille de l’empereur Kalo-Johannès, avec le sultan des Persans, qui ne veut secourir qu’à ce prix les Grecs de Trébizonde, enfin les luttes suprêmes de l’empereur David contre Mahomet II cinq ans après

  1. Geschichte des Kaiserthums von Trapezunt, verfasset von Jac.-Ph. Fallmerayer ; 1 vol. in-4o, Munich 1827.