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que Byzance est déjà tombée sous les coups de l’Ottoman, ses appels à l’Europe, sa résistance opiniâtre, l’armée turque assiégeant Trébizonde pendant plus de quatre années et ne forçant ses murailles que par la trahison, — tous ces faits, et mille autres absolument inconnus jusqu’ici, exigeraient une étude spéciale. L’empire de Trébizonde n’a-t-il pas duré près de trois siècles ? et vingt empereurs, d’Alexis à David, ne se sont-ils pas succédé sur ce trône ? Qu’il nous suffise d’avoir indiqué aux hommes d’étude cette source si abondante et si neuve. Pour nous, ce que nous cherchons aujourd’hui, c’est le développement des idées de Fallmerayer ; car ce livre de haut savoir, ce livre étranger en apparence aux passions de notre siècle, contenait déjà le germe de toutes les luttes que l’audacieux écrivain allait être appelé à soutenir.

En étudiant les Byzantins, l’historien de Trébizonde était arrivé à des résultats qui intéressent directement le grand procès de l’Europe orientale : il affirmait, par exemple, qu’après la chute de Constantinople, les Grecs, dans leur haine de l’Occident, s’étaient accommodés sans trop de peine au joug des Turcs, et qu’ils le préféraient de beaucoup à la domination latine. Le tableau tracé par Fallmerayer est circonscrit entre deux catastrophes : d’un côté, en 1204, la prise de Constantinople par les Francs ; de l’autre, en 1453, la prise de Constantinople par les Turcs. Or, si nous sommes assez peu émus, nous autres Occidentaux, de la catastrophe de 1204, on ne s’étonnera pas cependant que les Byzantins aient jugé les choses à leur point de vue. Malgré leur abaissement moral, ils sentaient le prix des trésors dont ils étaient les gardiens ; ils avaient comme un sentiment confus de la noblesse intellectuelle qu’ils représentaient dans le monde, étant les héritiers de ces monumens, de ces palais, de ces collections de tableaux et de manuscrits, dépôt unique, incomparable, qui avait échappé à tous les désastres de l’Europe. Quand ils virent l’incendie, sous la main des Francs, dévorer toutes ces richesses, n’étaient-ils pas autorisés à maudire les envahissemens barbares ? Ce n’est pas tout : derrière les Montferrat et les Baudouin, ils apercevaient des ennemis plus redoutables. Fallmerayer, qui a interrogé tous les témoins, est frappé de l’immense impression de terreur et de haine que cette catastrophe de 1204 a laissée dans l’esprit des Byzantins. Aussi, quand il arrive à l’année 1453 et qu’il voit les Grecs se soumettre si promptement au vainqueur, offrir leurs services aux nouveaux maîtres avec un si étrange empressement, demander et obtenir maintes faveurs, continuer leur vie d’autrefois, agir enfin comme s’il y avait eu seulement une révolution de palais à laquelle la nation pouvait demeurer indifférente, le contraste de ces deux événemens lui est un trait de lumière. Pour