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populaires et des intrigues de palais. Ce sont eux encore, qui stimulent, qui réveillent l’esprit national chez les autres populations chrétiennes. » Il faut que cette puissance d’assimilation, signe distinctif des anciens Grecs, se soit bien conservée chez leurs héritiers, puisque les Albanais, après avoir pris une part si énergique à la guerre de l’indépendance, sont aujourd’hui en train d’être complètement absorbés par les habitans de la péninsule hellénique. D’éminens esprits, lord Byron, Douglas, Fallmerayer lui-même, sans parler du correspondant anonyme du Globe que nous citions plus haut, avaient proclamé autrefois la supériorité des Albanais sur les Grecs de Morée ; M. Gervinus soutient l’opinion contraire, et il paraît bien prouvé en effet par les événemens de ces trente dernières années que les Grecs de la péninsule sont les vrais héritiers de la race antique. Cette influence barbare et slave que redoutaient avec raison les intelligences libérales, c’étaient les Albanais surtout qui la représentaient dans le mouvement un peu confus de la révolution grecque ; les Hellènes de la péninsule avaient gardé la haine du Slave comme aux premiers jours où ils eurent à lutter contre les fils de Rurik.

On voit par ce résumé du plus récent, du plus impartial historien de la révolution hellénique, ce que nous avons à prendre et à laisser parmi les théories de Fallmerayer. Il importait d’éclaircir cette question, car elle est le point central des immenses travaux de ce savant homme. Nous avons ici sous les yeux ce mélange de vérités et d’erreurs qui reparaîtra dans toute sa vie, qui lui fournira l’occasion de déployer sa vigueur d’esprit, sa verve de polémiste, mais qui ne doit pas nous donner le change. Fallmerayer a remporté de belles victoires dans le champ de l’érudition : il s’est trompé, tout en exprimant maintes vérités de détail ; il s’est trompé avec talent, avec feu, j’ai presque dit avec génie, dans le grand procès de l’Europe orientale au xix » siècle.

Le premier volume de l’Histoire de la Péninsule de Morée avait paru en 1830 ; le second, qui termine l’ouvrage, ne fut publié que six ans plus tard[1]. Pendant cet intervalle, l’auteur visita ces contrées de l’Orient qu’il ne connaissait encore que par les livres. Il avait voulu voir la Grèce et l’Archipel avant de mettre la dernière main à son œuvre. Pèlerin de la science, il avait considéré comme un devoir de vérifier sur les lieux les résultats de ses recherches, d’interroger les ruines du passé et les témoignages du présent. Il visita aussi l’Égypte et la Nubie, la Syrie et la Palestine, Constantinople et les provinces turques ; il parcourut les côtes de l’Asie-Mineure, les Cyclades, les Sporades, l’île de Rhodes, le pays de Naples. Partout enfin où avait passé le génie hellénique, il suivit ses traces

  1. Geschichte des Halbinsel Morea, von J.-Ph. Fallmerayer ; 2 vol., Munich 1830-1836.