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ses membres, ses organes, il lui a été accordé d’en multiplier l’efficacité, l’effet utile. Il a un moyen qui lui est propre, moyen varié jusqu’à l’infini dans ses applications, de métamorphoser cet effort en l’investissant de l’adresse la plus délicate et la plus raffinée, d’une sorte d’aptitude universelle. C’est par les outils qu’il a résolu ce difficile problème.

Tandis que, par les machines proprement dites, l’homme peut appliquer à son usage les forces animées ou inanimées éparses dans la nature, il peut, par les outils, donner telle direction et tel emploi qu’il lui plaît à ses propres forces. C’est ainsi qu’il réussit à faire de ses membres tout, absolument tout ce que font ensemble les autres animaux avec l’immense variété des organes que la nature a distribués entre eux, quelque profusion qu’elle y ait déployée.

Les outils sont pour l’homme des organes supplémentaires par lesquels il peut aborder une infinité d’opérations qui, au premier abord, semblent interdites à ses organes, tels que la nature les a composés. Ainsi l’homme tenterait en vain, avec ses dents ou ses ongles, de dépecer le bois aussi bien que le castor ou que le rat ; mais quel animal pourrait couper un madrier aussi bien que l’homme, dès qu’il est armé de la scie ? Quel est le bec d’oiseau qui pourrait fouiller le tronc d’un arbre aussi bien que l’homme, lorsqu’il est pourvu de la tarière ou du vilebrequin ? Une opération bien simple, celle d’enfoncer un clou dans un mur ou dans une poutre, est impraticable à l’homme tant qu’il est absolument à l’état de nature, un animal réduit comme les autres animaux aux organes qui lui ont été départis ; ce n’est plus qu’un jeu aussitôt qu’il a dans la main un marteau ou seulement un caillou : réunies, les dix bêtes les plus adroites et les plus robustes ne s’en acquitteraient pas aussi bien quand même elles y mettraient tous leurs organes. Qu’est-ce donc lorsqu’aux outils proprement dits l’homme ajoute le secours de certains réactifs ou de certains accessoires, le grès en poudre ou l’émeri quand il s’agit de polir une surface ou de creuser la pierre calcaire ? Que sont dans ce dernier cas, en comparaison de l’homme, les mollusques entreprenans qui, par leurs sécrétions, ont rongé les pierres de telle digue sous-marine au point de la démolir ?

Voilà donc le résultat du travail de l’esprit humain consacré à observer la nature pour y puiser des découvertes, et à rechercher l’application de celles-ci à la pratique des arts : il s’assimile ainsi des forces nouvelles, des moyens d’action aussi grands qu’ils sont divers. Il acquiert une puissance productive de plus en plus étendue. Il s’assure des légions de collaborateurs animes et plus encore d’inanimés. Il range sous sa loi, comme des serviteurs dociles, les chutes d’eau, le courant et la pente des fleuves, le choc des vents, la montée ou la descente de la marée, — puis la force élastique de