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Chaque fois qu’on aura besoin de glace, on en fabriquera sur l’heure. On a cependant tiré de là de bien autres conséquences : une grande industrie a pu se fonder afin d’extraire des eaux de la mer, par la voie du refroidissement, divers sels qu’elles contiennent, indépendamment du sel marin. Ne peut-on même prévoir qu’un jour nos architectes, tournant davantage leur esprit vers l’application des sciences physiques à l’art de rendre les maisons commodes et saines, utiliseront le même appareil, convenablement modifié, pour rafraîchir les habitations pendant les ardeurs de l’été ou pendant les fêtes qui encombrent les salons au point d’y déterminer une température insupportable ?

Ce n’est pas tout de découvrir des forces nouvelles, il n’est pas moins indispensable de trouver des moyens efficaces pour les faire beaucoup travailler. L’homme donc a successivement imaginé et établi une quantité indéfinie de machines, d’appareils et de dispositions par lesquels il a mis en jeu, sous des formes multiples, toutes ces forces naturelles, dont il varie par cela même les effets selon la diversité des besoins qu’il éprouve et des objets qu’il se propose. En même temps, par un bon agencement et une construction forte et intelligente, il a porté ces mécanismes à un degré de puissance dont l’esprit est confondu. Sur ce dernier point, je cite un seul exemple. On installe aujourd’hui sur les navires de guerre des machines dont la force nominale est de 1,400 chevaux ; mais la puissance possible, celle qu’elles déploient quand la nécessité s’en fait sentir, allant jusqu’au quintuple, ce sont réellement des machines de 7,000 chevaux de vapeur. Comme le cheval de vapeur a le double de la puissance du cheval de chair et d’os[1], et que la machine travaille vingt-quatre heures par jour, — tandis que le cheval qu’emploie le roulier, ou que le cultivateur attelle à la charrue, ne peut aller communément au-delà de huit heures, — un cheval de vapeur rend les mêmes services que six de ces animaux que nous regardons cependant comme de si utiles et si commodes serviteurs. Voilà donc un appareil qui, à lui seul, représente quarante-deux mille chevaux à l’écurie ! À l’exception de l’armée sans pareille à laquelle Napoléon Ier fit passer le Niémen dans l’été de 1812 pour la conduire à Moscou, je ne crois pas qu’il y ait eu dans les temps modernes une seule armée qui ait réuni effectivement un pareil nombre de chevaux.

En soumettant ainsi à sa volonté les forces de la nature, en les obligeant à se déployer à son profit après qu’il leur a imposé son

  1. On estime que l’effort moyen d’un cheval élève 40 kilogrammes à 1 mètre de hauteur par seconde. Ce qu’on appelle cheval de vapeur se définit par l’élévation à 1 mètre par seconde d’un poids de 75 kilogrammes ; c’est donc à peu près le double.