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à venir. Non-seulement il le répétait à voix haute, mais avec le même accent que s’il eût été en chaire et avec les mêmes énergiques intonations. Nous sentions que sa voix avait pris une rudesse inusitée, et dans ces sons puissans qui emplissaient le cottage il y avait comme un écho des tourmens intérieurs ; mais ce qu’avait perdu, la famille, les ouailles de mon père, et le monde après tout l’avaient gagné. Il était tout entier à son œuvre. D’une main plus ferme, il creusait la mine et arrivait aux filons aurifères. Sa prédication avait changé, ses études étaient plus profondes. Ce fut en ce temps-là qu’il se plongea dans le commerce des exégètes allemands. Il me faisait alors coucher dans son lit, et son lit était dressé dans son cabinet de travail, petite pièce dont l’ombrelle de ma pauvre mère, placée, sur une commode basse, était le seul ornement. Je me rappelle ces gros livres arrivés de Germanie, l’embonpoint, mou, l’aspect difforme, le papier spongieux de ces lourds volumes, dont le couteau de bois déchirait souvent les marges irrégulières, laissant aux tranches une espèce de toison cotonneuse. J’étais toujours endormi, — cela va sans le dire, — quand lui-même posait sa tête sur l’oreiller ; mais que de fois, éveillé dans la nuit ou dès l’aurore, n’ai-je pas vu sa belle tête, au, profil accentué, penchée sur ces mystérieux ouvrages signés par les Rosenmüller, les Ernesti, les Storr, les Kuinoel — à côté du foyer éteint, près de la croisée où commençait à blanchir le crépuscule matinal !… Et lorsqu’il m’entendait remuer, il m’adressait quelqu’un de ces petits mots caressans avec lesquels ma mère m’avait bercé, puis il s’approchait, souriant, et me pressait, tout pénétré que j’étais encore de la chaleur du nid, sur sa poitrine glacée.

J’ai dit que mon père prêchait avec un zèle, une animation extraordinaire, et qu’il préparait ses homélies hebdomadaires avec un soin tout religieux. À d’autres motifs d’un ordre plus relevé venait se joindre, pour l’aiguillonner, la conscience, que, dans un recoin obscur de l’église, sous la galerie, se plaçait invariablement un auditeur difficile, lequel possédait mieux que mon père lui-même, — et de l’aveu de ce dernier, — les textes grecs des livres de l’ancienne alliance, C’était son beau-frère, le mari de notre tante Violette, celui que nous appelions « l’oncle Johnstone. » Ce remarquable personnage, dont il est malaisé de parler sans être taxé d’exagération par ceux qui ne l’ont pas connu, était un simple commerçant associé à une maison de Biggar. Boutiquier dans toute l’acception du mot, car il passait une partie de ses journées dans le magasin commun, il n’en était pas moins un véritable savant et dans les branches les plus diverses, l’astronomie, la géométrie transcendentale, les sciences physiques. Il paissait en même temps au hasard dans les vastes champs de la linguistique et de la littérature avec le ferme et calme appétit de ces majestueux ruminans qu’on voit, du matin