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toutes les opérations de guerre accomplies en Chine et en Cochinchine, soit par son artillerie, soit par ses marins débarqués. La Renommée, le Monge, la Dryade, la Dragonne, le Forbin, appareillaient à des intervalles calculés. Ils allaient montrer le pavillon français à Nangasaki et à Yédo, et devaient, après avoir ainsi défilé, rallier Woosung ou Hong-kong.

Le 5 décembre 1860, les troupes qui revenaient de Pékin et qui devaient former la garnison de Shang-haï étant embarquées, les derniers navires de guerre français levèrent l’ancre et quittèrent le mouillage du Peï-ho. Cet entonnoir, dont les bords sont invisibles, dont les eaux, jaunies par les alluvions du Peï-ho et du Peh-tang, paraissent illimitées comme la pleine mer, ce fond du golfe de Pe-tche-li, qu’on appelle assez improprement la rade de Sha-lui-tien, se trouva vide ; l’agitation de plus de deux cents navires fit place à la plus grande solitude. L’Impératrice-Eugénie, capitaine de Lapelin, qui portait le pavillon du vice-amiral Charner, et l’Echo, capitaine de Vautré, qui servait de mouche, firent route pour Tche-fou, qui n’est séparé du Peï-ho que par une soixantaine de lieues. Ces bâtimens y arrivèrent le 6 décembre dans l’après-midi. Après avoir réglé les détails du nouveau service, le vice-amiral commandant en chef partit le 7 avec les deux navires et arriva le 10 décembre à Woosung, qui forme l’avant-garde de Shang-haï. Il ne tarda pas à y être rejoint par les bâtimens que leur mission avait retardés.

Le chef de l’expédition, le vice-amiral Charner, avait des pouvoirs complets pour faire la guerre et la paix avec l’empire d’Annam. Depuis la Mer-Jaune et la mer du Japon jusqu’à l’Océan-Indien, tout ce qui portait le pavillon français était placé sous son autorité. L’état de guerre, l’éloignement de la métropole, le double caractère de chef d’expédition et d’ambassadeur, le nombre de bâtimens rangés sous ses ordres, donnaient à son commandement un éclat tout particulier. C’est la délégation la plus étendue sur une force navale qui ait été remise depuis le premier empire. Ses prérogatives étaient exceptionnelles comme sa position : il donnait les commandemens, pouvait acheter des navires ; il avait qualité pour faire passer aux élèves de l’école navale et de l’école polytechnique les examens qui leur ouvrent l’entrée définitive dans le corps des officiers de vaisseau ; il nommait les premiers maîtres mécaniciens, etc.[1]. Son commandement s’exerçait sur une force navale qui ne comptait pas moins de soixante-dix bâtimens de guerre[2].

  1. Tous les actes qui découlaient de ces pouvoirs exceptionnels devaient être ratifiés ; mais cette obligation n’amoindrissait pas l’étendue du commandement en chef des mers de Chine et de Cochinchine.
  2. Cette force navale comprenait 1 vaisseau de ligne, 2 frégates de premier rang à hélice, 5 frégates de premier rang à voiles, 1 frégate de deuxième rang à voiles, 1 corvette à batterie à hélice, 2 corvettes à barbette a hélice, 2 avisos de première classe à hélice, 1 aviso de deuxième classe à hélice, 2 avisos de flottille à hélice, 1 aviso de première classe à roues, 6 avisos de flottille à roues, 7 bâtimens de flottille à voiles, 5 canonnières de première classe à hélice, 16 canonnières en fer démontables, 5 grands transports à batterie à hélice, 4 transports-écuries à hélice, 8 transports de 1,200 tonneaux à hélice, 1 transport-atelier à hélice : en tout 70 navires de guerre, dont 14 à voiles et 56 à vapeur. Sept navires loués à la Compagnie péninsulaire et orientale servaient à assurer les communications sur une si grande étendue de côtes.
    4 officiers-généraux, 13 capitaines de vaisseau, 22 capitaines de frégate, 95 lieutenans de vaisseau, 105 enseignes, environ 100 aspirans, 100 médecins, 100 officiers d’administration, 8,000 marins, composaient le personnel. L’artillerie s’élevait à 474 bouches à feu, la force nominale des machines à 7,866 chevaux-vapeur.