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croupissante, une grande et une petite, dans lesquelles on voyait de temps à autre un caïman, avaient donné leur nom à la redoute.

La pagode des Clochetons était un peu plus éloignée que les autres de la route qui mène de Saïgon à My-thô. Elle s’élevait au milieu de la plaine des Tombeaux. Les dieux dorés, qui représentaient sans doute un des états voisins de l’anéantissement parfait, avaient été conservés autour des salles. Des poules, que les soldats ou les marins couvaient de l’œil, furetaient partout. Sur la table des officiers, il y avait des bouteilles de vermouth et d’absinthe, et en face de la redoute s’allongeaient sur leurs plates-formes les longues pièces rayées de 30, dont la peinture noire s’était un peu éraflée à tant de descentes et d’ascensions. Ces redoutes tenaient à la fois de la ferme, du corps de garde et de la batterie ; mais les dieux bouddhiques vous transportaient dans un autre monde : leur rictus plus qu’humain semblait railler cette dépense d’énergie dont ils étaient témoins ; la vue de ces idoles produisait un contraste étrange au milieu des engins de destruction, des écouvillons, des anspects, des allées et venues des servans affairés, de toutes les expansions d’une race inquiète, mais forte.

La pagode de Caï-maï était le point extrême de cette ligne de défense, dont la droite partait de l’arroyo de l’Avalanche. C’était un poste très avancé ; on l’eût perdu avec un ennemi européen. Cette pagode était bâtie sur un mamelon rapporté à main d’homme ; elle offrait les mêmes détails d’intérieur que les autres. En face de Caï-maï était le fort annamite de la Redoute, qui terminait les lignes ennemies et aboutissait à un obstacle naturel, un marais. Cette pagode fut accidentellement, quelques jours plus tard, le siège d’un parc de munitions pour l’artillerie et l’infanterie.

Les travaux de force nécessaires pour hisser les lourdes pièces de 30 sur leurs plates-formes furent conduits par des maîtres d’équipage. Le lieutenant-colonel d’artillerie de terre Crouzat avait sous son commandement l’artillerie de siège et l’artillerie de campagne. En sept jours, les plates-formes furent construites, les pièces débarquées de leurs navires conduites aux pagodes, hissées sur leurs plates-formes et approvisionnées de munitions à cent coups. La pagode Barbet reçut trois obusiers de 80 et deux chevalets pour fusées de siège de 125 millimètres, la pagode des Clochetons quatre canons de marine de 30 rayés, la pagode de Caï-maï un canon rayé de 30 et un obusier de 80. Ces pièces conservèrent leurs servans marins.

Le 16 février, le commandant en chef quitta la frégate l’Impératrice-Eugénie et transporta son quartier-général à l’ouvrage neuf, un peu en arrière de la redoute Barbet. Il confia le commandement direct des bâtimens échelonnés devant Saïgon au capitaine de vaisseau