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avant de la colonne de droite. En tête des marins marche le peloton des marins abordeurs. Eux-mêmes portent leurs échelles, leurs grapins attachés ou emmanchés, leurs gaffes, leurs grenades. Les coulies ont été remplacés à la seconde halte : le service de porteur d’échelle est maintenant un service d’honneur. La colonne de gauche marche au pas de promenade sous une fusillade très nourrie, réservant son haleine pour le dernier moment, obliquant légèrement à droite pour ne pas s’embourber dans le marais. À 30 mètres de l’obstacle, un cri de vive l’empereur ! domine la fusillade ; les premiers s’élancent, le revolver au poing ou le sabre à la main droite. Ils sont suivis de près par les porteurs d’échelles, qui dédaignent leurs armes et s’avancent préoccupés d’une chose : tenir leur promesse, appliquer les échelles. Les premiers reçoivent l’arquebusade en pleine poitrine, écartent avec leurs sabres les bambous entrelacés, marchent à petits pas sur la crête des trous de loup, enjambent les chevaux de frise, sautent dans le fossé, et, se frayant un passage à travers les branchages épineux, — les mains et le visage en sang, les vêtemens en lambeaux, — paraissent victorieux sur le dernier obstacle.

La colonne de droite, en tête de laquelle marchait le génie, abordait l’obstacle avec la même vigueur. Il n’y eut d’engagement corps à corps en aucun point, et les Français qui les premiers mirent le pied sur la banquette intérieure purent voir les Annamites céder le terrain, emportant leurs gingoles et leurs fusils de main. Ils s’éloignaient d’un pas presque tranquille en apparence, comme des travailleurs qui suspendent leur travail, et, chose singulière, quoique pressés de bien près par toute une armée qui escaladait leurs remparts, un très petit nombre s’enfuit en courant. En quelques minutes, ils joignirent un gros de leurs troupes dont on voyait flotter les banderoles du côté de Ki-hoa. — Les Annamites avaient accepté la lutte à coups de canon sans qu’elle parût les entamer beaucoup ni affaiblir leur courage : les nombreux cadavres étendus le long des parapets témoignaient de l’effet des pièces rayées ; mais quand les colonnes marchèrent à l’assaut, droit sur eux, ils cédèrent le terrain et s’enfuirent, tout en restant en vue. Ainsi les avaient représentés la plupart des rapports sur les premières affaires de Saïgon et de Touranne[1].

L’enseigne de vaisseau Berger et le sous-lieutenant Thénard du génie arrivèrent, les premiers de toute l’armée, au sommet du parapet, aux deux points où la ligne ennemie fut rompue, l’un à l’attaque de gauche, l’autre à l’attaque de droite. L’affaire était terminée ; elle nous avait coûté cinq tués et une trentaine de blessés,

  1. Sauf l’assaut infructueux du mois d’avril 1859.