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chassant des colonnes de vapeurs enlevées à la Méditerranée, qui se résolvent en pluies torrentielles en entrant dans la région froide des Alpes. Alors au calme imposant, à l’immobile rigidité des hauteurs pendant les jours d’hiver succèdent le bruit et le mouvement ; les Alpes s’émeuvent sous la tiède haleine des vents du midi et de l’ouest ; de chaque couloir de la montagne descend, se précipite un courant grossi ou formé subitement, impétueux, mugissant, roulant sa provision de terres, de graviers et de quartiers de rocher, et tous ces torrens sont recueillis au bas en un seul qui défie par son régime indomptable la science de l’ingénieur des ponts et chaussées. Si le couloir est formé de couches de schiste friable et d’argile, le torrent les corrode, des éboulemens se produisent, et les eaux, arrêtées un moment, grossissent derrière leur barrage, le surmontent bientôt et poussent dans la vallée une masse épaisse et noire qui arrive avec l’effrayante lenteur de la lave d’un volcan. Les vieillards d’Aiguebelle en Maurienne ont gardé le souvenir d’une de ces laves schisteuses qui a englouti l’église et le village de Randens. L’avalanche agit de même sur les terres. Il en est de deux sortes, l’une humide, l’autre sèche. L’avalanche humide, la plus dangereuse, emporte toute la couche de neige abondamment saturée d’eau de pluie, balaie les pentes et ne laisse que le roc nu sur son passage. L’avalanche sèche n’emporte que les neiges récentes, qui glissent sur les anciennes. Le plus léger accident, un cri, une détonation qui ébranle l’atmosphère, l’aile d’un corbeau qui frôle la surface de la neige, suffit à les déterminer l’une et l’autre. La neige commence à se mouvoir insensiblement, une fente horizontale se dessine à la pente la plus rapide, au point où la neige qui se meut se sépare de celle qui demeure immobile. Malheur au voyageur égaré en aval de cette ligne ! il est entraîné avec le sol qu’il foule ; de vastes étendues s’ébranlent et pressent les neiges inférieures, qui moutonnent, s’arrondissent en vagues fumantes contre les plis du terrain, glissent toujours, même alors qu’elles rencontrent des surfaces parfaitement planes ; enfin-elles se précipitent par les chutes de la montagne avec un bruit sourd qui ébranle l’air et souvent détermine le même mouvement sur un autre point. Le voyageur a disparu, et son corps mutilé ne sera retrouvé qu’à la fonte des neiges, parmi les autres matériaux solides entraînés avec lui, les blocs énormes et les grandes pièces de la forêt déracinées et brisées comme des pailles.

Le mouvement des terres sous l’action de tous ces agens a été suivi d’un mouvement correspondant de la population, qui, elle aussi, est entraînée dans le bas de la vallée. La dépopulation progressive des communes élevées est un fait significatif établi par les savantes recherches de l’archevêque de Chambéry. Dès 630 communes