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de la Savoie, on connaît la hauteur barométrique de 511, prise au principal hameau : 53 sont situées entre 1,900 et 1,000 mètres, 168 entre 1,000 et 600 ; et 288 entre 600 et 200. Or en deux siècles, de 1650 à 1829, la population, loin d’avoir suivi le mouvement général qui l’a presque doublée, a diminué de 5 pour 100 dans les communes supérieures pendant qu’elle augmentait de 8 dans les moyennes et de 31 dans celles de la plaine. L’état du sol s’est ressenti de cette diminution progressive de la population des montagnes. Le cadastre de 1738, auquel travailla Jean-Jacques Rousseau, désigne des champs, des jardins et des maisons dans des localités où l’on n’en retrouve plus. La chaumière a disparu avec le jardin potager qui l’accompagnait, le buisson et le pâturage ont remplacé le champ d’avoine, et l’homme, qui avait commencé le mouvement par des cultures imprudentes et des déboisemens, l’homme a suivi la terre, sa nourricière, entraînée dans la vallée. Le climat, rendu plus meurtrier par la disparition de la forêt protectrice, est aussi entré pour sa part dans l’expulsion de la population. Les maigres céréales, l’avoine, le seigle, et quelques légumineuses récoltées abondamment autrefois dans le haut pays y sont aujourd’hui compromises par les gelées de l’avant et de l’arrière-saison, et en plus d’un cas elles ont dû être abandonnées malgré la routine qui attache le paysan montagnard à ses anciens procédés agricoles.


II

L’aspect du pays donne à comprendre quel doit être le genre de vie de la population agricole. Activité et dépense extraordinaire de forces physiques pendant que le sol est libre, repos et inertie pendant les longs hivers, voilà les deux côtés saillans de la vie dans la région alpestre. Plus bas, où le climat est moins sévère, le travail est plus également réparti sur l’année ; mais le cultivateur n’a pas la même activité de corps et d’esprit. Cette différence est attribuée en partie à la pression atmosphérique sur le corps humain : elle diminue d’environ 250 kilogrammes pour chaque centaine de mètres d’élévation sur la surface du corps, évaluée à 1 mètre carré. La connaissance de cette loi physique, dont la science médicale a tiré des conséquences fécondes pour l’étude des maladies, n’est pas moins importante au point de vue du travail agricole. La pression de l’air étant moins forte sur le travailleur de la région élevée, il est plus libre dans ses mouvemens ; mais, par une conséquence nécessaire, sa force est plus vite épuisée, et la fatigue le gagne plus rapidement que l’habitant des lieux inférieurs. De là ce travail excessif et cette excessive paresse du montagnard. Pendant ma morte saison agricole,