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de la surface. L’histoire d’une grande révolution géologique est écrite en caractères ineffaçables sur toute la charpente des montagnes savoisiennes. Les couches sont rarement disposées d’après les lois de la statique des corps ; au lieu d’une stratification horizontale, elles sont partout ployées, tordues, brisées ou relevées à tous les degrés de l’angle par une force agissant du centre sur la circonférence ; sur plusieurs points, elles sont percées d’ouvertures qui ont livré passage à des roches plus anciennes, sans traces de pétrification, formées d’élémens vitrifiés dont les molécules, groupées régulièrement parle refroidissement lent d’une matière en fusion, révèlent la nature de la force qui a produit tous ces bouleversemens et donné à la Savoie son relief actuel.

L’imagination, dirigée par la science, peut se retracer jusqu’à un certain point l’immense déchirement de la croûte terrestre soulevée par le feu central. Suivant une théorie à laquelle le génie de Humboldt a donné les caractères de la vérité scientifique démontrée, le globe terrestre fut à l’origine une masse en fusion, un vaste océan de feu qui tenait tous les corps en liquéfaction. La surface se refroidit par le rayonnement de la chaleur dans l’espace, elle se durcit, une pellicule se forma, souvent agitée, souvent brisée par les émotions volcaniques du liquide ; enfin, la croûte ayant pris de la consistance à la suite d’un grand nombre de siècles, les vapeurs se condensèrent, et les mers primitives apparurent, inondations étranges qui ont reçu différens noms dans la science géologique. Elles ne portent pas d’abord d’êtres vivans à cause de leur température trop élevée ; mais, la chaleur ayant encore baissé, la vie s’y développe, et dans les couches qu’elles ont déposées apparaît toute une population animale pétrifiée. Les mouvemens du sol, sans cesse agité par le feu intérieur, chassaient les mers vers d’autres contrées, et les espaces émergés étaient aussitôt envahis par des végétations colossales dont les détritus ont formé d’immenses dépôts de houille et d’anthracite. Le sol de la Savoie a été un de ces espaces les plus anciennement émergés ; il s’élevait déjà au-dessus des mers primitives quand le sol de l’Europe était encore sous l’eau. Le naturaliste déjà cité, M. G. Mortillet, en constatant la présence ou l’absence des couches déposées par quelques-unes de ces mers, a tracé une géographie curieuse de la Savoie avant l’homme, où l’on voit le sol de la vieille Allobrogie sortir du sein des océans tumultueux des premiers âges. Ce fait, qui ne semble d’abord intéresser que la science pure, a eu des conséquences désastreuses pour l’industrie. Le sol s’étant exhaussé à une époque où la chaleur intérieure était encore très élevée, le terrain carbonifère a été soumis à une action chimique et mécanique analogue à celle qui transforme la houille en coke dans