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mouvemens de l’armée des peuples vaincus qu’il condamnait au travail forcé des mines. Il suppléait à l’insuffisance des inventions mécaniques par la multiplicité des bras. Les matériaux extraits passaient de main en main par la longue chaîne des travailleurs échelonnés dans la galerie ; les eaux qui envahissaient la mine étaient pompées par la vis d’Archimède et reçues dans des baquets transmis de la même manière jusqu’à la sortie. Pline cite une mine en Espagne où cinq mille ouvriers formaient ainsi continuellement une sorte de rivière vivante.

Ces procédés romains ont été reconnus dans les deux grandes excavations du Labyrinthe et de Saint-Marcel, au nord-est du massif, dans la vallée d’Aoste. Les moines du petit Saint-Bernard, devenus industriels comme beaucoup d’autres congrégations religieuses, découvrirent la première au commencement du XVIIIe siècle, en exploitant un filon de cuivre pyriteux qui les conduisit sur celui des Romains. La seconde fut rouverte à la même époque par une avalanche qui corroda le flanc de la montagne. Un ingénieur piémontais put observer les proportions grandioses de ces monumens souterrains, dont il a laissé une vive description dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Turin. La galerie s’avance, d’après un plan géométrique, en tournant autour d’énormes piliers massifs disposés régulièrement en quinconce. Cette distribution intérieure donne à l’excavation l’aspect des temples gigantesques que les peuples primitifs de l’Inde creusaient sous les montagnes en l’honneur de leurs étranges divinités. L’une de ces mines est encore ouverte aujourd’hui et attire les étrangers qui fréquentent les bains de Courmayeur ; l’autre ayant été reprise en 1750 par une compagnie piémontaise qui attaqua imprudemment les piliers contenant du minerai, la voûte céda, et le sommet de la montagne s’écroula dans la caverne avec un fracas effroyable qui a gravé l’accident dans la mémoire des habitans de la vallée.

À la période romaine de l’histoire des mines de Savoie se rattache un événement considérable qui mit fin à l’indépendance des peuples des deux versans des Alpes. Les Salasses, anciens habitans de la vallée d’Aoste, se livraient, bien avant la conquête romaine, à l’exploitation des richesses minérales. Ils avaient coutume d’employer pour le lavage des minerais les eaux de la Doire, qu’ils détournaient par des tranchées si nombreuses que le courant principal était souvent mis à sec, dit Strabon[1]. De là des querelles fréquentes, de petites guerres entre les montagnards adonnés au travail des mines et les agriculteurs de la région inférieure, qui, eux aussi, empruntaient

  1. Géographie, t. Ier, liv. IV.