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et des autres édifices publics. Avec le progrès du luxe et de l’opulence privée, il entra dans les usages domestiques, la fabrication des meubles, des seuils et des portes des maisons. La statuaire surtout l’employait en quantités énormes. L’airain des statues se composait, selon Pline, de 88 parties de cuivre et de 12 d’étain, de zinc, de plomb ou d’argent ; on variait la proportion et les composés suivant le degré de dureté qu’on voulait obtenir[1]. La production du cuivre devait fournir à cette immense consommation. Les besoins de la vanité sont impérieux ; il n’est pas nécessaire de remonter jusqu’à l’antiquité romaine pour s’en convaincre. On peut expliquer par les exigences de la demande la guerre de Rome contre les peuplades des deux versans des Alpes, dont les mines de cuivre formaient, après l’île de Chypre et l’Espagne, le groupe le plus important qui ait été connu des anciens. Cette vue du reste est conforme au récit de Strabon, et s’accorde avec les habitudes connues de la populace romaine. Les besoins matériels dictèrent souvent la politique des empereurs, et bien des guerres qu’on a attribuées à des idées, à des pensées élevées, n’ont eu en réalité pour mobiles que des appétits inférieurs, qui avaient seuls le privilège de se faire entendre et d’être écoutés au milieu du silence de la liberté.

Après les Romains, l’industrie minière dans les Alpes a passé par une période très obscure, à laquelle néanmoins la tradition populaire rapporte les anciens travaux du district de Modane : c’est la période sarrasine. Les Sarrasins ont envahi deux fois la Savoie. Après la victoire remportée sur eux par Charles-Martel aux champs de Poitiers, vers l’an 740, une de leurs bandes, chassée de la plaine, chercha un refuge dans les gorges de la Maurienne, et au Xe siècle une nouvelle invasion commit des déprédations dont les chartes des monastères ont conservé le souvenir. Quelques historiens pensent qu’il n’y eut pas d’interruption entre ces deux époques dans l’occupation des Sarrasins, et qu’ils se maintinrent jusqu’au XI° siècle dans le massif des Beauges et la vallée de l’Arc. Les travaux qui portent leur nom sont des galeries élégantes au-dessus de Modane, mieux

  1. L’usage de l’airain pour les statues ne s’est généralisé qu’aux derniers temps de la république romaine : elles étaient auparavant de bois, de terre cuite ou de marbre, et on ne les élevait qu’aux héros morts. Dès que la liberté disparut des mœurs et des institutions, le véritable sentiment de l’honneur s’effaça aussi dans les cœurs et fit place à la vanité. Chaque patricien voulut avoir sa statue ; Jules-César est le premier à qui on en ait élevé une de bronze avec une pique à la main. Après lui, aucun empereur, fût-il Néron ou Héliogabale, ne manqua de courtisans empressés à lui décerner des statues. D’innombrables artistes étaient occupés a reproduire avec le bronze les traits des hommes, des femmes et des dieux. Pline en compte jusqu’à trois cent quatre-vingt-seize qui se sont acquis un nom dans la statuaire.