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donné fort à faire, pendant un siècle et demi, au juge d’Aiguebelle, au sénat souverain de Savoie, à la sérénissime chambre des comptes, et même à sa majesté en son conseil. Les droits en présence remontant au fameux traité de 1344, il n’est pas malaisé de comprendre que la chicane se soit introduite entre les jointures d’une succession de cinq siècles, souvent interrompue, presque aussi compliquée que celle des papes. L’état aurait pu la trancher par la concession ou par l’expropriation de la mine pour cause d’utilité générale ; mais comment rompre si brusquement avec des droits aussi anciens, surtout lorsqu’ils avaient pour eux l’appui de la maison souveraine, intéressée à conserver un état de choses qu’elle-même avait établi ? La révolution française ne changea rien aux exploitations des Hurtières : elles ne furent pas déclarées propriétés nationales, comme celles de Pesey et de Macôt, et sous le premier empire l’expropriation, conseillée en 1811 par l’ingénieur des mines Schreiber, fut rejetée par l’administration du département du Mont-Blanc. La restauration trouva les choses dans la même anarchie qu’avant 1792. Plusieurs fois depuis 1815, le gouvernement sarde s’est efforcé d’y mettre ordre en tenant compte des droits anciens : il a délimité les champs de travail de chaque exploitant, il a condamné les galeries trop évidemment agressives, il a même suspendu en 1852 les exploitations sur toute l’étendue de la montagne. Cette mesure de l’administration tranchait une question qui appartient aux tribunaux, et remplaçait la justice ordinaire par un coup d’autorité ; mais on était en plein régime libre : la presse, l’opinion, réagirent contre ce petit coup d’état, et l’administration, qui n’était pas préparée à donner aux exploitans une juste indemnité, unique solution équitable, céda devant la production des pièces qui établissaient les droits des exploitans. La difficulté se pose aujourd’hui dans les mêmes termes devant la nouvelle administration. Les prétentions qui avaient égaré un moment l’ancienne administration se sont produites aussitôt après l’annexion, et retentissent maintenant au conseil d’état. Elles reposent sur ce fait, qu’il existe une concession régulière en faveur de l’un des exploitans actuels. Or il ne peut y avoir concession régulière sur une mine découverte depuis des siècles et possédée sans interruption, à titre de propriété, par celui qui l’exploite. En droit elle serait nulle, et en fait nous croyons avoir démontré par l’historique de ces exploitations célèbres qu’elles n’ont jamais été l’objet d’une concession dans le sens et avec l’étendue des droits que la législation moderne attribue à cet acte administratif.

Une concession régulière pourrait seule néanmoins faire cesser l’anarchie qui stérilise le travail des Hurtières. Nous avons déjà remarqué, en gravissant la montagne, l’un des résultats de la division