Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épaisses, lorsqu’elles avaient disparu dans le reste de l’Italie et dans la France méridionale. Elles occupaient dans l’état sarde une surface de 1,108,712 hectares sur une superficie totale de 7,634,723. L’absolutisme énergique et souvent intelligent du souverain, les mœurs féodales du vieux Piémont et en-deçà des monts le caractère apathique des habitans, avaient entouré la forêt d’une protection plus forte qu’ailleurs et mis un frein à l’entraînement de la destruction ; mais ces conditions économiques et morales ont bien changé depuis la révolution française, et surtout depuis l’établissement du régime constitutionnel de 1848. À ces deux époques, la propriété forestière a été délivrée des entraves de la mainmorte, qui l’immobilisait. Par la loi révolutionnaire du 10 juin 1793, rendue quand la Savoie était déjà française, les communes furent autorisées à partager leur domaine, et une immense étendue de forêts passa en des mains pressées de jouir et peu soucieuses de l’avenir. Un mouvement analogue s’est produit en Piémont après 1848. Il est triste d’avoir à constater que la liberté, si féconde sous d’autres rapports, a été fatale aux forêts. Un usage s’était introduit dans l’administration de la commune, qui a eu les mêmes effets que la loi révolutionnaire dont nous venons de parler : c’est celui d’affermer aux particuliers le domaine forestier communal. On l’enlevait ainsi à l’action du pouvoir public pour le mettre sous celle des individus, qui l’exploitaient à leur guise et sans mesure, car les garanties insérées dans les baux étaient tout à fait dérisoires. L’administration qui tolérait cette pratique pernicieuse se montrait d’une faiblesse extrême dans la répression d’autres abus non moins crians. La coupe en taillis pour les affouages était permise tous les huit ou dix ans, au lieu de douze ou vingt, comme l’exige une bonne économie forestière, et le système du jardinage, qui consiste à abattre çà et là les plantes désignées officiellement, ravageait les forêts de haute tige. Les pâturages abusifs et les délits forestiers avaient passé dans les habitudes de la population agricole. Ce n’est que vers la fin du régime parlementaire en Savoie que l’administration, stimulée par l’opinion publique, a fait usage des pouvoirs dont elle était armée pour la répression et la protection, car ce n’est pas la loi qui manquait au fonctionnaire, mais le fonctionnaire qui manquait à la loi, aussi sagement conçue d’ailleurs que dans les autres pays.

Malgré la négligence apportée dans l’entretien de cette richesse par les régimes les plus divers, les ressources forestières de la Savoie n’ont pas été sérieusement atteintes. La surface boisée est encore plus étendue, relativement à la superficie générale, que dans les anciens départemens ; elle couvre la cinquième partie du sol