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trouve sur son chemin. « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. » Voilà la véritable doctrine. Avant tout, Dieu et la justice ; mais après ces premiers biens il y en a d’autres qui doivent nous être donnés par surcroît. Ce reste forme le domaine de l’économie politique. De ce que l’homme doive songer d’abord à l’autre vie, il ne s’ensuit pas qu’il doive négliger de se nourrir et de se vêtir dans celle-ci.

Je sais bien que quelques passages du texte sacré semblent aller plus loin, mais ces mots si souvent rappelés s’adressent évidemment à la société païenne. « Quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il possède n’est pas digne d’être mon disciple. N’ayez point de sollicitude et n’allez point dire : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi nous vêtirons-nous ? Ces inquiétudes sont dignes des païens. » Il fallait en effet, pour suivre la nouvelle loi, renoncer à tout dans la société païenne ; si ces règles s’appliquaient au pied de la lettre à la société chrétienne, la propriété elle-même ne serait pas permise, et il serait interdit de semer pour récolter. Comment concilier de pareils commandemens avec cette loi première : Tu mangeras ton pain, à la sueur de ton visage, et avec cette autre parole adressée par deux fois aux enfans d’Adam : Croissez, multipliez, remplissez la terre et la soumettez à votre domination ? Il n’y a pas jusqu’à la statistique qui ne soit prévue et annoncée par ces mots du livre saint : « Vous avez tout fait, Seigneur, par nombre, poids et mesure : omnia in mensura, numero et pondère disposuisti. »

Comment croire en effet qu’en nous soumettant par le travail le monde matériel, nous ne remplissons pas un dessein supérieur ? Pourquoi l’homme a-t-il des besoins, si ce n’est pour les satisfaire ? Pourquoi trouve-t-il des obstacles dans les forces de la nature, si ce n’est pour les vaincre ? Pourquoi des secours sont-ils déposés pour lui dans ces forces mêmes, si ce n’est pour qu’il s’en serve ? Est-ce pour rien que le froment a été doué d’une puissance de reproduction presque indéfinie, pourvu que le travail de l’homme sache la dégager ? Est-ce pour rien que les animaux domestiques ont été soumis à notre volonté, si bien que nous pouvons les transformer à notre gré pour nous en aider et nous en nourrir ? Pourquoi cette laine qui pousse et tombe tous les ans, ces filamens du chanvre, du lin, du coton et des autres plantes textiles, si ce n’est pour qu’ils forment des tissus qui nous défendent des intempéries ? Pourquoi cette chaleur qui s’échappe du bois allumé et cette lumière que donne l’huile en brûlant, si ce n’est pour nous réchauffer et nous éclairer ? Pourquoi ces métaux accumulés dans les mines, ces carrières de pierre et de marbre, ces immenses provisions de charbon enfouies dans les entrailles de la terre, si ce n’est pour que nous